Friday, November 20, 2015

Orlu: mordez l'Ariège à pleine Dent!

Okay, le jeu de mots est fff: foireux, facile et faible (rien à voir avec une autre fff qui continue manifestement à opérer sans une ride!). En un mot, ça commence fort... Le week-end dernier, on a reçu la visite d'un couple d'amis barcelonais. Courageusement, ils ont affronté le col du Puymorens en pleine tempête de plueige molle, brumeuse et typiquement ariégeoise, pour venir découvrir la Catalunya nord, longtemps revendiquée mais jamais reconquise, les Ariégeois étant (assez) irréductibles... Après les avoir gavés de fromages du pays, de canard gras, de confitures maison, de château de Foix et de curiosités architec -turales et -toniques, on a décidé d'aller un peu expier tout ça (les calories, pas les vieilles pierres!) en montagne  - Ford! que c'est original...

est-ce un grand blanc? est-ce l'ombre de J.Chirac? non, c'est la Dent!
Grand beau temps le dimanche matin, on avait imaginé un objectif façon Kinder surprise: non seulement il se devait d'être agréable et ludique, mais aussi et dans la mesure du possible, sur leur chemin de retour (autrement dit, en remontant vers l'Andorre). Donc, un sommet qui fut en somme et tout à la fois accessible mais élégant, facile mais aérien, court quoique beau, petit mais grand, ni haut ni bas, etc. Ça vous rappelle pas un peu un classique de Victor Hugo, tout ça? "Il était quoique riche à la justice enclin (...) Sa barbe n'était point avare ni haineuse (...) Booz était bon maître et fidèle parent (...) Il était généreux quoiqu'il fut économe" Peut-être? Normal. Le bonhomme venait d'ailleurs souvent en haute vallée de l'Ariège chercher l'inspiration (mensonge éhonté, à part Gabriel Fauré, et peut-être Bernardo Sandoval, on ne peut guère s'enorgueillir d'avoir reçu de grands artistes en résidence en nos estives). La réponse à nos doutes dominicaux et matutinaux, vous l'aurez deviné si vous suivez Olivier de Robert, roulez aux couleurs du SCA ou avez déjà acheté un passe ski'rail, on a choisi la Booz end'Orlu bien sûr! Chronique d'une petite sortie facile pour randonneur du dimanche:

 - 09:30 tapantes: après un solide petit déjeuner, le casse-croûte dans le sac, bien couverts et prêts à se geler, mais heureux d'être là malgré tout (Michel Berger, sors de ce corps!) on s'est mis en route direction Ax, Ascou, La Forge puis la piste forestière qui démarre derrière le lac, juste après la colonie hollandaise (où il fait bon se doucher en redescendant des grandes voies en face Est de la Dent - les grimpeurs reconnaîtront....

symphonie de feuilles mortes pour quatuor en 2c15 ; sous-bois mi-ombre mi-soleil et l'austère face Nord de la Dent.
 - 10:30: arrivés à la poêle à frire, où nous attendaient déjà sept ou huit voitures et furgos pour la plupart espagnoles, on a vissé nos bonnets, zippé nos vestes et on s'est mis en marche. Montée agréable dans la hêtraie orientée nord-est, donc à l'ombre. On a démarré "étonnamment" vite, sans doute pour essayer (en vain) de se réchauffer. On a retrouvé le soleil quelques minutes avant de déboucher sur la jolie croupe herbeuse qui devait nous conduire au petit col à pied de Dent.

la fameuse et déjà célèbre belle croupe herbeuse, puis le petit col, l'équipe de motivé(e)s et le mythique poteau indicateur.
 - 11:30: on était au col, en plein soleil, entre les rhododendrons. On s'est préparés psychologiquement pour l'ascension raide mais jamais difficile, on a enlevé ou remis quelques couches de fringues et... on s'est fait doubler vilement par un groupe de quatre qui n'ont pas arrêté de piailler en dialecte toulousain comme d'authentiques mouettes de Garonne. On a serpenté sur et autour du bon sentier pour éviter les courtes sections façon holiday on ice et alors que midi venait de sonner à tous les clochers en bas, dans la plaine, on débouchait sur la belle cime arrondie de la Dent (2222 m).

la bonne rampe de la voie normale qui selon la légende ne voit jamais le soleil.
 - 12:15: au sommet de la Dent d'Orlu, on a lutté pour trouver un petit coin où poser nos fesses, vu que les propriétaires des voitures trouvées à la poêle à frire n'étaient pas en train de lézarder au soleil sur les grandes voies faciles des dalles de beau gneiss de la face Est, mais étaient simplement montés comme nous par la voie normale, pour manger leurs sandwiches en surplombant la maison des loups, les estives désertées de la réserve d'En Beys, les étangs de Naguille et des Peyrisses ou la fine colonne de fourmis montant vers le Pas de la Case pour y acheter des jéroboams de Pastis 51 et des cartouches de Fortuna. À chacun sa manière de jouir sereinement d'un dimanche ensoleillé de novembre. Bref. On n'était pas encore assis, donc, qu'on a entendu un grand "Bouduuuuh! Mais c'est Wallis et Futuna!" et reconnu tout de suite les voix familières et affectueuses de S. et J.-M. Si Barcelone est un village, l'Ariège est une rue commerçante: impossible d'y bouger le petit doigt sans y tomber sur un couple d'amis. Pour info, S. fut, comme elle aime le rappeler "la première maîtresse de Futuna"; il avait alors 4 ans et était en maternelle à l'école de Montgailhard. Il y a bel et bien des histoires d'amour qui durent toujours...

d'un côté: le silence, la paix et la solitude des grands espaces; de l'autre: la dure réalité d'un dimanche ensoleillé!
 - 13:00: après nous avoir fait des bises et raconté en diagonale leurs vacances en famille à la Réunion, ils se sont jetés dans la descente au petit trot, avec un agenda bien rempli pour le reste de la journée et une semaine chargée en perspective, nous laissant seuls avec nos gourdes, nos sacs et... la foule des grands jours! Il y en a à qui la retraite donne des ailes, et on se dit qu'on aimerait avoir leur énergie. Enfin... Une fois les sandwiches avalés en silence, les yeux dans le décor (l'équipe de choc avait faim et le froid ouvre l'appétit, c'est bien connu), nos chers M. et A., catalans, architectes, plongeurs et globe-trotters, nous ont révélé un autre de leurs décidément nombreux talents: l'acro-yoga auquel il sont devenus de récents mais fervents adeptes. Ils ont improvisé une petite séance à 2222 m, sous l’œil intrigué d'un vautour fauve ("Oh! regardez, regardez! Un faucon!" crie l'un des Toulousains à côté de nous. "Mais non, c'est un aigle royal, le faucon c'est plus petit". "C'est un faucon j'te dis, j'en ai vu à la télé l'autre jour". "Nan, dit finalement un troisième, en Ariège, tout ça c'est des Gypaètes à crête"... Édifiant! Ça doit faire le même effet aux gens qui s'y connaissent quand je parle d'économie? Ha ha ha!). Et nous, tout en se disant qu'il serait temps de s'y (re)mettre, on a pris quelques photos.

faites comme eux, adoptez l'acro-yoga a(l)ttitude! dans l'ordre: "el condor pasa", "free bird" et "el pino" (à crochets).
- 13:30: l'heure de redescendre, non sans avoir pris une photo d'équipe. Descente sans histoire par l'itinéraire de montée. Malgré les quelques tronçons gelés et une bonne dose d'appréhension, on a trouvé ça plus facile, finalement, qu'à l'aller. À travers bois, on a bavardé tranquillement et salué les quelques mouettes tardives qui montaient avec aussi peu de conviction que de chances d'aller jusqu'au sommet.

- 14:45: on a retrouvé le 2c15 qui nous attendait sagement, déjà (ou encore?) à l'ombre de la poêle à frire, et on est retournés vers la civilisation pour un café bien mérité - en terrasse et au soleil - à Ax, avant de se séparer ravis, souriants mais somme toute un peu fatigués. Il paraît que Futuna a même réussi à s'endormir dans la voiture sur le chemin du retour vers la maison, un peu après un village connu pour une fameuse (et énorme) carrière de talc, au point que ses ronflements auraient perturbé un couple de Gypaètes barbus nichant au Quié de Sinsat. Espérons que la section locale de la LPO ne l'apprendra pas, on risquerait d'avoir tous les ennuis du monde, voire un procès sur le coin de la gue---. S'ils n'ont personne d'autre à emm--- avec leurs conn--- en ce moment, ils sont capable de nous accuser d'avour mis en péril leur programme de reproduction de l'adorable petit animal! Allez, on se calme et on arrête le sarcasme: surtout, pas de vagues ni de polémiques...


le cliché old school de l'équipe au sommet et sans selfie-stick: un caillou, un retardateur et un petit filtre façon 70's, hombre!

Friday, November 6, 2015

vous allez être mis en relation avec Un(t)raveling, veuillez ne pas quitter...


Quelles que soient les raisons qui vous poussent à vouloir nous contacter (et on ne doute pas qu'il y en ait; par exemple: vous plaindre parce que nos topos de grimpe et nos tutoriels de bricolages divers sont insuffisamment détaillés. Elle est bonne celle-là! Ils sont peu détaillés parce qu'on les fait avec la quantité d'information dont on dispose. Et on a tendance à faire les choses moitié à l'intuition, moitié au feeling... et moitié en mode essai-erreur!), vous devriez pouvoir le faire facilement depuis n'importe où. Si vous voulez des infos, des tuyaux, si vous pensez qu'on peut répondre à une question que vous vous posez, si un post vous a intéressés ou au contraire provoqué une crise d'urticaire et de convulsions... dites-le nous! Voici donc quelques suggestions pour le faire avec style, avec peu de ressources technologiques voire avec de bonnes chances de succès.

À utiliser librement en fonction de vos besoins et de vos possibilités, donc:

 - les messages de fumée: ils sont utilisés depuis la nuit des temps et on considère (pas nous, hein, "les experts") qu'ils furent le premier système de communication à distance. Ils auraient permis aux postes de contrôle de la grande muraille de Chine de faire passer des messages sur plus de 700 km de distance en quelques heures à peine, apprend-on sur Wikipedia. Attention aux écrans de fumée, de plus en plus fréquents dans les media et dans le paysage politique, qui interfèrent hélas trop souvent. Et puis il faudra quand même nous envoyer un sms avant pour qu'on regarde dans la bonne direction au bon moment, évidemment...
 - les jungle drums: Bernard Lavilliers nous le dit pourtant sans détours et sans équivoque dans une de ces chansons dont il a le secret et qui fleurent si bon les tropiques: "dans le langage tambour / y'a des dialectes inconnus / pour dessiner les contours / d'une cité disparue". Vous n'aimez pas Lavilliers? Nous, oui! Et puis il s'agit d'une méthode à l'efficacité reconnue, quoique d'une portée réduite: le dialecte est inconnu et la cité, de toutes façons, disparue! Retournez à la case départ, ne touchez pas 20.000 francs et écoutez plutôt Emiliana...
 - le langage sifflé des bergers d'Aas: s'il est idéal pour communiquer d'un versant à l'autre de la vallée d'Ossau, au fin fond du Béarn natal de Futuna - pour prévenir qu'une brebis a agnelé ou rappeler à un pâtre occupé à parer des onglons que l'heure de l'apéro a sonné -, il s'avère qu'il est (hélas!) éteint depuis les années 60 (du siècle dernier). Plus personne ne sait le siffler et encore moins le dessiffrer (pardon, le déchiffler). Et nous ne faisons, bien évidemment, pas exception à la règle. En conclusion (calembour inévitable), cette méthode-ci, elle passe à l'Aas...
 - le pigeon voyageur: là, rien à dire, ça marche remarquablement bien. Ce que l'on ignore souvent, en revanche, c'est que le pigeon n'est pas un coursier en scooter guidé via son smartphone. Il ne sait "que" revenir "chez lui". Ce qui n'est déjà pas si mal si l'on considère 1- la taille de son cerveau et 2- la quantité de potes ou d'inconnus rencontrés en fin de soirée et qui avaient manifestement perdu cette aptitude. Merci donc de nous adresser par courrier une boîte en carton perforée de petits trous, garnie de paille fraîche et dûment affranchie, grâce (Kelly!) à laquelle on vous fera parvenir un pigeon en retour. La bague à message est offerte.
 - le message dans une bouteille: classique des classiques. Qui n'a jamais joué à Gruissan ou Narbonne-plage à enrouler la dernière page de son cahier Passeport dans une bouteille d'Orangina à la fin des vacances d'été, avant de monter dans la 309 ou la BX de ses parents, n'a jamais été... fils d'enseignant(s). Bref. On ne compte plus ceux qui ont été secourus grâce à un message dans une bouteille. Sting lui-même est sorti de la précarité comme ça! Petite précision: ne soyez pas trop pressés et surtout, assurez-vous de la jeter (la bouteille) dans l'Ariège en amont de notre petit village: L'hospitalet-près-l'Andorre ou Mérens-les-Vals devraient faire l'affaire...
 - le commentaire au bas d'un post: si votre question a trait à un article en particulier, un jugement de valeur qui vous a dérangé (pourtant pas notre genre), un jeu de mot que vous n'avez pas compris (ou au contraire trouvé excellent, on peut toujours rêver), un bricolage dont les explications - succintes et ambiguës - vous ont laissé perplexe: c'est probablement le meilleur endroit pour nous le dire, puisqu'on les lit en principe assez régulièrement (* this invaluable comment was found on magicvalley.com).
 - les réseaux sociaux: Faut bien le reconnaître, c'est terriblement moins romantique. Mais c'est aussi tellement plus efficace! On se plaindra peut-être demain d'être trop populaires et de ne plus avoir de vie, mais on a encore un peu de marge, vraiment! Ajoutez-nous sur Facebook ou suivez-nous sur Google+ (on est plus actifs sur le premier que sur le second, mais vous nous trouverez dans les deux cas et on finira par lire votre message) en cliquant sur les icônes ci-contre. En revanche, ne nous cherchez pas sur Twitter ni sur des réseaux plus branchés, plus ados ou moins généralistes... Et méfiez-vous des contrefaçons!

Enfin et si ce n'est pas suffisant, ou si rien d'autre n'a fonctionné, il y a toujours le bon vieil email: untraveling  "at"  gmail  "dot"  com. On vous fait confiance (??) pour ne pas nous noyer sous les spams. D'ailleurs, on n'est intéressés ni par la Canadian Pharmacy, ni par les booty-calls tout près de chez nous, ni par l'héritage du banquier veuf du Nigeria dont tous les actionnaires étaient dans le même avion qui s'est écrasé sur la frontière togolaise. Voilà! À bientôt donc pour de nouvelles aventures...

Sunday, November 1, 2015

Rothko'mme à la maison!

Ce week-end, les parents de Futuna déménageaient dans leur nouvelle maison, qui a été en travaux pendant quelques (longs) mois. On y avait déjà fait quelques séjours intensifs pendant l'été, à bricoler et à filer des coups de main sporadiques, pour préparer et installer, entre autres, des étagères pour les placards en placo-plâtre de l'atelier et des chambres. L'une d'entre elles - grande et exposée plein sud - a été construite juste sur l'emplacement (comme dans un mauvais film d'horreur: d'un ancien cimetière indien? Mais nooooon...) de l'ancienne entrée et de l'anciennce cuisine. L'architecte a en effet su faire preuve d'une imagination et d'une créativité hors du commun. Enfin, pour établir le devis de ses prestations, hein, parce que pour ce qui est des idées de réaménagement du petit pavillon années 50, ce sont plutôt eux, les géniteurs fantaisistes et sautillants, qui les ont eues... Passons. Cette chambre a désormais une porte-fenêtre donnant sur l'extérieur et, en vis-à-vis, un beau mur très lumineux qui ne demandait qu'à être peint, mais pour lequel il fallait encore choisir une couleur. Or le papa de Futuna, F., est un grand fan de Mark Rothko et de ses toiles, qui provoquent chez lui une fascination hypnotique proche de l'extase.

Wallis a donc eu la brillante idée de lui offrir, comme cadeau d'installation, une petite reproduction d'un "yellow and red", acquise chez Verkerke* à Barcelone.... avec en prime, la promesse de lui en peindre une, à grande échelle, sur le mur de la chambre en question! L'idée les a enchantés (tous les deux) et ils se sont donc engagés à nous fournir pinceaux, rouleaux et couleurs, pourvu qu'on fasse le boulot avant le premier novembre, date estimée de leur entrée dans la nouvelle maison. On comprendra leur enthousiasme: tant qu'à avoir un Rothko à domicile, autant qu'il fasse environ 9 m2 (2,50m x 3,50m), surtout s'il ne coûte pas 90.000 euros. Les joies et avantages du helpx, en somme... Ha ha ha! De notre côté, on avait ça à l'esprit, on en parlait souvent en buvant le café, on s'est pas mal documentés sur la vie, l'oeuvre et surtout la technique du bonhomme, mais on ne s'est pas vraiment inquiétés jusqu'à la semaine dernière et le coup de fil des parents "vous pouvez venir jeudi pour nous aider avec le déménagement? et puis, tant que vous y êtes prévoyez le week-end, comme ça vous peindrez le mur de la chambre, on a tout acheté, c'est prêt, ça n'attend plus que vous!" Oh oh... (comme disait Dustin Hofmann dans un des films qui ont marqué notre enfance: élevé dans les années 80 un jour, élevé dans les années 80 toujours!). Difficile d'y échapper dans ces conditions, il a fallu y aller et se jeter à l'eau...

premiers pas sur les traces du maître: bordure supérieure au pigment ocre ; détail de la ligne ; première couche de jaune "préparé".
Du coup on a, dans l'ordre:
 - envisagé de faire des essais sur du carton ou de l'isorel: mais on n'avait plus le temps ;
 - relu des articles sur l'utilisation que faisait Rothko du pigment: Il l'appliquait sur la toile en sous-couche avec de la colle avant de commencer à peindre, créant à travers la peinture cette caractéristique sensation de lumière émergeant de la toile ;
 - mis dans notre valise de vieux habits: je ne sais pas dans quelle tenue Il peignait, mais bon ;
 - fait halte chez M. Bricolage pour acheter du pigment ocre "spécial construction": une poudre fine qui ressemble à s'y méprendre à de la cannelle, l'odeur en moins ;
 - investi dans une grande quantité de colle à papier peint: en se disant qu'on pourrait toujours l'utiliser plus tard pour du papier mâché, sinon.
 - mis le cap sur R.: où ils nous attendaient impatients sur le pas de la nouvelle maison, entourés de cartons, de déménageurs et d'un halo palpable d'expectatives non formulées...

début d'après-midi: Wallis en plein travail au rouleau dans la zone orange, puis en mode pause-café contemplative...
À peine arrivés, on a déchargé la voiture, on a pris un café tous ensemble, on s'est raconté un peu les dernières nouvelles et puis... bin... on n'avait plus vraiment d'autre option, ni vraiment le choix, alors, une fois au pied du mur, ou dos au mur, ou dites-le comme vous voudrez: on s'y est mis! Et c'est souvent quand on sait le moins ce qu'on fait qu'on s'amuse le plus...

1- Pendant que Wallis prenait des mesures et faisait des règles de trois pour les proportions, Futuna protégeait soigneusement le reste de la pièce avec du scotch de peintre, des journaux par terre et préparait le matériel.

Rothko'mme à la maison: dans la dernière ligne droite!
2- On a d'abord ajouté un peu de pigment au jaune pour faire un bel ocre avec lequel on a fait le "cadre", autrement dit la sous-couche de la zone du haut. Puis après l'avoir laissé sécher un peu, on a passé une première couche de jaune (avec juste une pincée de cannelle), au rouleau et à la brosse, sur la partie supérieure, sans couvrir le tour ocre, histoire d'éviter les bavures le temps qu'il sèche.

3- On a répété le processus pour la zone inférieure, mais avec un ocre beaucoup plus clair, avant de passer le rouleau en orange "pur". On a testé le pigment ocre dans le orange - que l'on trouvait un peu trop vif - mais c'était vraiment pas ça: ça devenait marron tout de suite.

4- On a donc fini la couche en orange "nature", puis on s'est un peu reposés en faisant une "réunion de chantier": un bon vieux café au lait et un point objectif de la situation.

5- Nos conclusions: jaune un peu trop foncé, orange un poil trop vif et sous-couche périphérique un peu trop présente. Nos solutions: deuxième couche de jaune nature, en insistant bien sur les bords pour laisser le centre plus intense, deuxième couche d'orange, à peine éteint avec un soupçon de rouge cadmium qui trainait par là, en étirant bien les bords au chiffon pour mélanger avec la sous-couche ocre.

6- Quand on a enlevé la bande de scotch horizontale du milieu, on a comparé avec les couleurs de l'original et il faut rendre lo suyo à César: le technicien de chez France Peinture avait VRAIMENT eu l'oeil, parce que les couleurs qu'il avait choisies pour notre petit projet étaient VRAIMENT proches de l'original! On le félicite encore pour son acuité, on le remercie encore pour sa gentillesse et on lui enverra une photo du résultat, c'est promis.

à la frontière: pièce instrumentale pour gris austral, ocre et chiffon ; où est Wallis? ; la chambre Rothko, après séchage et nettoyage.
7- Il ne nous restait plus qu'à "faire" la bande centrale: du jaune avec, à nouveau, trois fois rien de pigment ocre appliqué au pinceau mais estompé au fur et à mesure au chiffon. Puis la même technique avec un vieux fond de pot gris "austral" qui avait servi à faire les murs de l'atelier: quelques touches au pinceau, puis mélangé et appliqué/étiré/effacé directement sur le (et au) chiffon. Hop!

8- En définitive, on ne prétend pas s'y connaître en arts plastiques, ni s'y connaître en peinture en bâtiment. "Les amateurs ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnait", aurait dit Audiard s'il nous avait vus à l'oeuvre! Mais bon, il faut être honnêtes: on est (très) contents et (plutôt) fiers du résultat: les couleurs une fois sèches sont bien dans l'esprit de l'original, les effets des bords nous plaisent et les coups de pinceaux, rendus à l'échelle grâce à une grosse brosse à colle, lui donnent une jolie dynamique. L'orange n'est finalement pas fatigant et les tons évoluent en fonction de l'heure de la journée: c'est chaud le matin, apaisant avec le café après le repas de midi et troublant le soir. En plus, ça attire carrément l'oeil depuis la rue à la nuit tombée. Et puis dans la pièce meublée a minima, ça fait la tête de lit la plus grande du monde!

Wallis pose et se repose, Futuna shoote et la patronne est venue inspecter les travaux finis ; depuis la rue ; réflexions nocturnes...
9- La question cruciale et délicate est sur toutes les bouches: est-ce que ça leur plait? Bin, sincèrement, on a l'impression. Et ils le disent. Et on les a surpris plusieurs fois faisant un détour inopiné par le petit bout de couloir pour aller pousser la porte et rester là, à le contempler en silence... On n'a plus qu'à leur signer un engagement sur papier en pormettant - s'ils se lassent - d'aller le leur recouvrir sans préavis et sans délai

Donc en conclusion, on peut passer sa vie à attendre d'être prêt et de savoir "faire". Ou bien on peut décider que tout ça c'est un jeu et qu'il s'agit en définitive d'expérimenter un peu. Qu'est ce qui aurait pu nous arriver de pire? Que ce soit monstrueux (vous avez le droit de le penser, d'ailleurs...) et qu'on soit obligés d'aller en urgence racheter un bidon de gris austral pour recouvrir tout ça vite fait bien fait en deux ou trois couches épaisses...
Shoshin

Finalement, c'est comme pour nos confitures (voir post précédent): on ne prétend pas avoir du mérite, sinon avoir eu, tout au plus, un peu de chance; celle, fameuse, des débutants. C'est peut-être, au fond, l'avantage d'être un éternel débutant? Pour certains, comme nous, ça relève plutôt de la nécessité mais pour d'autres, c'est un choix, voire une philosophie de vie. Il y a un concept très important dans le bouddhisme zen et les arts martiaux au Japon (et assez à la mode en Occident): le Shoshin. On traduit généralement cette idée par "l'esprit du débutant". Et plutôt que de mal en parler, on va se contenter de citer le maître zen Shunryu Suzuki: "lorsque nous n'avons pas l'idée de réalisation, pas l'idée de soi, nous sommes de vrais débutants. Alors nous pouvons réellement apprendre quelque chose. [...] C'est aussi le vrai secret des arts: soyez toujours un débutant. Soyez très, très attentifs à ceci." extrait de Esprit Zen, esprit neuf de Shunryu Suzuki, éditions du Seuil, 1977.


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* el único y auténtico Verkerke Barcelona: carrer del Cardenal Casanas, 10 - 08002 Barcelona.