"l'Ariège, ça monte, ça descend et ça n'est jamais plat"
C'est dit: pourrez pas dire qu'on vous a pas prévenus!
Le slogan n'est pas de nous, mais on se l'approprie bien volontiers: c'est pour la bonne cause et ça fera de la pub' au Conseil Général et à l'Office de tourisme du coin (qui en ont sacrément besoin diront certains)! Bon. Derrière cette lapalissade en apparence tout à fait innocente se cache une réalité complexe, polymorphe, protéiforme, à étages, voire - n'ayons pas peur des mots: les mots sont là pour nous aider ; ils nous aident à communiquer, à nous comprendre, mais peut-être plus encore, à surmonter cette terreur que provoque en nous l'immense chaos de l'univers hostile et changeant qui nous entoure et dont nous sommes pourtant (souvent sans en être pleinement conscients, il est vrai), partie intégrante. "Tu es une expression unique de l'Univers dans sa totalité, de la même façon qu'une Vague est une expression unique de l'Océan tout entier" disait Alan Watts, et Ford! s'il avait raison... mais je m'égare et perds le fil dès les premières lignes! Ce post fleure déjà la digression à plein nez, ça promet d'être difficile... Décidément, ce nouvel antalgique (indiqué dans les douleurs neurogènes et prescrit pour cette épaule qui ne se décide pas à guérir) n'est pas seulement efficace, il est aussi diablement psychotrope. Mais revenons à nos moutons... - matriochkale...
- À vos souhaits!
- Pardon: vérification faite, il semblerait que l'on dise, en français et dans le texte, "gigogne".
Piège à Toulousains entre chien et loup ; même en Ariège: "eau qui descend ne remonte pas" ; notre monnaie locale.
Bien. En Ariège, tout monte et tout descend, tout n'est donc jamais plat. Ou "rien" n'est donc jamais plat? Enfin... Les Toulousains qui vont en Andorre acheter des clopes et du Ricard, par exemple, et bien: ils montent le dimanche matin puis descendent le dimanche après-midi. Et les Toulousains qui vont skier à Ax-Bonascre en hiver, ils font pareil (et qu'est ce qu'ils nous font skier, soit dit en passant...). Et le TER-98910 en provenance de Toulouse et à destination de Latour-de-Carol va entrer en gare: lui aussi monte et descend. Voilà, on va s'arrêter là pour les exemples. Ce qui descend mais ne remonte jamais en Ariège, en revanche, c'est le cours de l'eau. Enfin, de l'Ariège, quoi. Ou du Vicdessos. Ou de la Courbière, comme le prouve le mignon cliché ci-dessus d'une ravissante cascade. Et ce qui descend mais ne remonte guère, c'est le cours de l'Euro, en chute libre depuis que le pyrène lui dame la pièce. Euh, le pion. Une monnaie locale, oui madame, parfaitement! On a une monnaie locale, même qu'elle vaut cher: 1 pyrène = 1 euro, comme ça c'est moins compliqué à convertir et s'il avait fallu l'indexer sur la réalité économique locale, on aurait eu besoin de brouettes de billets pour aller au marché... Et puis pour rendre la monnaie, du coup, c'est avec les centimes d'euro, hein. Parce que pour photocopier des pièces et les découper en rond, je vous raconte pas l'affaire. Voilà, vous savez tout sur le pyrène, la monnaie utile en papier recyclé! En tout cas, ça fait toujours ça de moins dans la tirelire des railleurs qui se moquent de nous, et Ford sait qu'il y en a. Voyez plutôt:
Très bien, ça, c'est fait. Il va peut-être falloir entrer dans le vif du sujet, maintenant... Parce que toute cette histoire de monter et de descendre, c'était surtout pour illustrer la visite de nos chers U. & L. le week-end dernier. Visite qu' (on espère) ils vous raconteront eux-mêmes et avec leurs propres mots - ce qui pourrait être particulièrement exotique! Plus d'un Ariégeois s'en réjouira. On les embrasse donc chaleureusement à leur descente du train bondé, on les gave donc de canard gras, de fromages d'ici et d'ailleurs (du Cantal, notamment) et de vins pas d'ici mais d'un ailleurs plutôt pas trop lointain (Madiran, Fronton, Corbières, Faugères: le tour du Midi, quoi..). On trouve (au détour d'une ruelle) un vide-grenier où les faire saliver devant des bibelots du cru, des vieilleries rurales et des trésors poussiéreux; entre lesquels se démarquent quelques vélocipèdes vintage à faire pâlir de jalousie toute la communauté de hipsters-barbus-tatoués-piercés-en-chemise-de-bûcherons-cyclistes-branchés-de-Poblenou-ou-de-Gracia. On joue à aller cueillir nous-mêmes nos légumes qu'on a fait pousser nous-mêmes pour les manger nous-mêmes après les avoir cuisinés... nous-mêmes!
L'effet toujours euphorisant du pilotage de 2c15 sur départementale!
Et pour expier un peu tout ça, tous ces plaisirs criminels et autres péchés véniels, pan! On les sort en rando. Un peu. Pour dire. Les Trois Seigneurs par l'Étang d'Arbu: une classique bien connue des régionaux de l'étape et des Toulousains des dimanches. Pas trop long, pas trop dur. En revanche, ils ne s'y attendent pas du tout, font les surpris "Ah bon? Marcher dans la montagne? Diantre! Quelle idée originale!"
Originale??? Ici, si on n'est pas rugbyman ou chasseur, il n'y a plus qu'à être randonneur, c'est une question d'identité. Et de survie. Passons... On monte donc tranquillement - en 2c15, c'est la règle - et pas trop tôt quand même, jusqu'à Vicdessos. De là, direction le Port de Lers, pour se garer finalement juste avant de l'atteindre, dans les derniers virages, à côté de quelques autres voitures puis de se mettre, rapidement, en marche.
"Il suffit de passer le pont - chante l'autre moustachu (un peu père vert il faut le reconnaître) avec sa guitare - et c'est tout de suite l'aventure". En effet, le pont franchi, les choses changent et si ce n'est pas tout de suite l'aventure, c'est tout de suite une montée fort raide en plein soleil vers un petit groupe de brebis qui nous regardent et gardent farouchement l'accès à un orry aussi typique qu'il est bien conservé. Mêêeeh! Émerveillement de rigueur: on s'extasie devant ce savoir-faire millénaire, on boit de l'eau, on joue avec une bébête au bout d'une brindille. C'est beau la nature en fête. Et le chevelu avec sa guitare de revenir à la charge: "Laisse-moi tenir ton jupon, je t'emmène visiter la nature"! On fait dans l'allusion élégante et tout en finesse, hein? Bon, jusque là, nos visiteurs sont contents; ils se sont à peine plaints durant le premier raidillon, ils ont des Pyrénées plein les mirettes et le cœur léger. Quand soudain, c'est le drame: Futuna commet une erreur de débutant. À la question "c'est encore loin (grand schtroumpf)?", il répond en toute bonne foi "juste derrière cette colline, on y sera dans un petit quart d'heure". Patatras! Comme toujours, derrière la petite colline, il y a une autre petite colline, ou une barre rocheuse, ou un ressaut au fond de la jasse, ou n'importe quoi qui finit par révéler l'absence du lac, encore caché un peu plus loin derrière. Pire encore: un peu plus haut!
"il suffit de passer le pont et c'est tout de suite... ; l'herbe douce à Pâques (a poussé sur l'orry) ; je t'emmène visiter la nature!"
Il s'en faut de peu qu'un drame éclate. La révolte gronde. Les matelots, tendus, murmurent et ruminent quelque sombre plan. La faim et la fatigue tenaillent les troupes. On craint une mutinerie. Déjà, les albatros et les vautours dessinent, là-haut, de grands cercles sur nos têtes... Heureusement, bientôt, quelqu'un crie "Teeeeerre!" Euh non, quelqu'un crie "Laaaaaaaac!" À nos pieds, l'étang d'Arbu. Voilà. L'étang s'étend. Les temps aussi. Comme disait l'autre, qui voulait citer untel "Au lac, suspends ton vol, et vous Eures et Loires..." etc. C'tait l'bon temps! On s'embrasse, on s'étreint, on s'assied, on s'affale. Puis on s'étend. L'ambiance se détend. On chasse des taons. On trinque "à l'étang!" Une fois l'étendard bu, on hisse les gourdes, qui flottent au vent. V'là l'bon vent, v'là l'joli vent, mon ami l'étang... Soudain elle s'écrie: "Un homme à la mer!". Mais non: il se baigne tranquillement...
L. et ses 27 printemps, dans la montée ; l'orry en plan rapproché ; l'étang d'Arbu dans son écrin de gispet* et de cailloux...
Les choses se gâtent quand on montre le sommet, pourtant proche, du Pic des 3 Seigneurs. Il est déjà tard, on a faim, ma jambe est lourde, il fait chaud, demain j'ai piscine, on a déjà beaucoup marché, et la descente alors? Heureusement, notre réputation d'hôtes nous précède et le bon goût toujours raffiné de la maîtresse de maison n'étant plus à démontrer (ça nous a coûté une fortune en Ferrero Rocher, mais le retour sur investissement est inestimable), on nous écoute donc.
"L'ertrand d'Arthus vu du ciel", comme dirait Yann-Arbu B'Étang!
Heureusement aussi, la montée est progressive et ludique, le long d'un petit ruisseau au fond duquel le sentier se perd souvent. Quelques cairns de beau granite gris montrent le chemin, pas évident par ailleurs, vers la majestueuse ligne de crête, que l'on récupère finalement, le lactate dans les cuisses et dans les talons, l'estomac...
Un casse-croûte bienvenu à base de produits locaux fait son apparition comme par magie un peu au-dessus de la côte 2000 m, où le gispet* fait non seulement rage mais encore un beau tapis touffu qui active délicieusement la circulation dans les glutéaux façon réflexologie/acupuncture. Depuis ce belvédère en avant de la chaîne, on admire les vues panoramiques à 360º: le Port de Lers et le Massatois à nos pieds; le massif du Valier perdu dans les nuages; derrière lui le Luchonais, déjà, perdu dans les nuages; devant nous au Sud, les 3.000 ariégeois perdus dans les nuages; plus loin l'Andorre, perdue dans les nuages; plus loin encore vers l'Est, le Canigou, perdu dans les nuages; au Nord la plaine et Toulouse, nimbées d'un smog douteux aux notes bleutées...
les Pyrénées ariégeoises dans toute leur verdoyante majesté (et avec un léger penchant à droite).
U. & L. en mode Urga et une croupe après l'autre de la longue crête de descente, qui n'en finit pas d'être ariégeoise...
Le ventre plein et les yeux rivés sur d'audacieux parapentistes, la descente se fait sans histoires. Toutefois, fidèle au slogan du pays, elle aussi, monte et descend sans relâche. La belle croupe herbeuse n'en finit pas de s'arrondir à nouveau, tandis que le port de Lers n'en finit pas de se faire désirer, bien décidé à ne pas se livrer à nos semelles boueuses sans quelques sinueuses allées et venues supplémentaires. Pire, la voiture est garée deux kilomètres en contrebas du col, dans ce virage de la petite départementale d'où nous sommes partis plus tôt le matin. Futuna dans un élan d'héroïsme teinté d'un sournois mais lancinant sentiment de culpabilité va donc prendre un peu d'avance pour assurer un service de taxi: sinon avec le sourire, au moins avec dévouement. Hum. On oublie trop souvent à quel point les douleurs chroniques peuvent, parfois, rendre ceux qui en souffrent quelque peu susceptibles, voire carrément irritables... Voilà voilà. Sur ce, et dans un silence gêné par cet aveu en forme de cri du cœur, il va falloir conclure! Retour au bercail sains et saufs, douches chaudes, habits propres et autres préparatifs joyeux d'une fin de weekend idyllique. Sur table: fromages, charcuterie, légumes du jardin, vin et rires; puis finalement, sur quai: des adieux déchirants à la gare SNCF toute proche... On rend l'antenne, à vous les studios.
le port de Lers, ses hordes de parapentistes, sa guinguette et ses vertes prairies.
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* bien connu des randonneurs, des pêcheurs et des chasseurs tout au long de la chaîne, synonyme à la fois de pique-nique pique-les-fesses et de dérapages incontrôlés lors de descentes sous la pluie, le gispet (Festuka eskia) mérite une place de choix dans le patrimoine culturel (im)matériel de nos chères Pyrénées; ça m'étonnerait pas qu'Olivier de Robert l'évoque dans un de ses sketches...
J'ai kiffé... je sais pas si c'est les jeux de mots, les contrepèteries, le terrain de jeu, l'activité, les photos ou les références socio-culturelles... Ptet bien aussi l'aveu final :) C'est quand le prochain post ?
Merci Nico! Sûr que le terrain de jeu, l'activité et le contexte socio-culturel du cru (en gros: le tout du cru!) auront réveillé de vieux souvenirs... Alors: à quand un p'tit JCT au pied des 3 Seigneurs, avec quelques bières rafraîchies dans l'eau de la Courbière?
J'ai kiffé... je sais pas si c'est les jeux de mots, les contrepèteries, le terrain de jeu, l'activité, les photos ou les références socio-culturelles... Ptet bien aussi l'aveu final :)
ReplyDeleteC'est quand le prochain post ?
Merci Nico! Sûr que le terrain de jeu, l'activité et le contexte socio-culturel du cru (en gros: le tout du cru!) auront réveillé de vieux souvenirs... Alors: à quand un p'tit JCT au pied des 3 Seigneurs, avec quelques bières rafraîchies dans l'eau de la Courbière?
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