La veille de notre rendez-vous avec L. et R., nos seconds hôtes helpx, on est passés par Roquefixade, distant de quelques kilomètres à peine. Au pied de son château cathare en ruines, la belle place carrée était, comme toujours, déserte.
Wallis et Futuna au château de Roquefixade. |
Elle donnait cette impression que les habitants étaient profondément endormis: une longue sieste, derrière les petites fenêtres de leurs petites maisons. Quelque part entre la Belle au bois dormant et les Little boxes de Malvina Reynolds... Notre idée, comme souvent hélas dans les pages de ce blog, était d'escalader un peu au soleil - rien de bien méchant, somme toute. Or il pleuvait et ventait sur Roquef'. Un panneau placardé au pied de la falaise indiquait même à qui aurait été assez fou pour s'approcher que, par arrêté municipal, l'activité en question était désormais interdite sur le site jusqu'à nouvel ordre. Chou blanc. Retournez à la case
départ, ne touchez pas vingt mille francs. De retour à la furgo, on y a regardé un film doublement abrités: du vent par le mur de l'église et du froid par un bon édredon. Le film, j'aurais bien du mal à le recommander: je ne sais plus ce qu'on a vu... Bref, le lendemain en début d'après-midi, on est arrivés chez L. et R., pour participer à la (re)construction de leur maison. On voulait un
chantier où mettre nos mains à la pâte et nos cœurs à l’ouvrage, on a trouvé beaucoup plus que ça.
Leur priorité en arrivant: aménager un espace à vivre simple mais chaleureux. Dans l'angle Nord-Ouest, semi-enterré, deux cloisons intérieures en balles de paille et enduit terre-chaux limitent le Studio. Parquet, poêle à bois et plan de travail sous la belle baie vitrée orientée plein Ouest délimitent cet espace versatile à l’ancienne. C'est à la fois une cuisine, une salle à manger, une bibliothèque et même un
petit bureau sous le coin nuit en mezzanine. Moins de trente mètres carrés où
il fait bon vivre grâce à l'isolation en laine de mouton au-dessus du plafond
et au soleil de l'après-midi qui entre généreusement; grâce aux vieux livres
qui racontent un peu beaucoup, entre les lignes, les histoires de leurs
propriétaires; grâce enfin à la chaleur du bois, des meubles, de la patine
qu’ils ont pris sous la main et au fil des jours. Objets inanimés, comme disait l'autre, qui savait de quoi il parlait…
En plus d’être charmants,
accueillants, généreux et toujours souriants, L. et R. fascinent par leur sens
pratique pour organiser et mener de front leurs projets et chantiers, y compris
celui – pas des moindres – de faire de la vie quotidienne une fête. Ils ont
racheté il y a quelques années cette grosse grange en ruines avec un peu de
terrain attenant; avec l’objectif d’y vivre une décroissance heureuse et
sereine en se concentrant sur l'auto-approvisionnement et une consommation
réduite au minimum, aux circuits locaux et extra-courts. Grâce à eux, on réapprend que beaucoup
de ce que l’on considérait acquis doit au fond se gagner, se (re)conquérir,
centimètre par centimètre, sur l’absent. On s’est trop habitués à ne prendre
conscience des choses que lorsqu’elles nous font défaut… Ici, chaque espace et
chaque tâche incite à être présent, reprend un sens qui trop souvent s’est
perdu à force d’habitude, celle de consommer à tout va : acheter tout prêt
à l’emploi, utiliser tout de suite, jeter au tout-à-l’égout, changer pour du
tout beau tout neuf... Ils ont réinventé une vie quotidienne qui transforme
chaque moment en quelque chose de presque sacré. On a usé ce verbe, on l’a
agrandi et amidonné mais finalement chez eux, la simplicité transcende chaque
geste, chaque activité. Et le quotidien redevient réjouissance. On ne peut s'empêcher de penser à Alan Watts quand il nous invite à chanter et danser la vie. Mais on s'égare. Ou pas? Retournons à L. et R.
depuis la cuisine, vue plein Ouest sur le jardin et les Pyrénées ariégeoises. |
Et puis il y a le dehors. Sortir du Studio, c’est quitter sa
comfort zone, aller à la rencontre du monde pour accoster bientôt une autre île de leur
archipel domestique. Sonder l’obscurité fraîche et humide, presque palpable, du
garde-manger-réserve-débarras-atelier; dans la zone Nord-Est de la grange, il est à l'ombre et au frais
toute l'année. À tâtons, on y reconnaît le papier journal froissé qui enveloppe
les pommes de l’automne dernier, à la peau mate et ridée. En braille, on y
déchiffre les placards où attendent les œufs, le beurre, le café… Aller
dans “une autre pièce” suppose de se compromettre, de s’exposer. Le “couloir” qui va à la chambre, à la
salle de bains, c’est le jardin. Été comme hiver, de jour comme de nuit. Mais le jeu en vaut la chandelle, tant l’univers qu’ils créent et habitent nous rappelle l’ici et le maintenant. Les gestes
quotidiens, les rituels domestiques, tout est une invitation à la présence, une
respiration.
Le yaourt du petit déjeuner, que l’on ne finit pas tout à fait parce qu’il faudra en refaire pour les jours suivants. Parce qu’il n’y a pas onze autres pots de yaourt tous identiques alignés sur l´étagère du frigo, comme ils s’alignent sur celles du supermarché. Et parce que si on le termine, il n’y en aura pas demain.
Les toilettes sèches, où l’on arrive après avoir traversé le potager, où l’on sent surtout l’odeur de la sciure, où l’on se prend à regarder les montagnes par les ouvertures de la palissade, où l’on est à l’abri même si pluie et vent ne sont jamais loin, où l’on lit “la valeur de la monnaie” ou “construire sa maison en paille” parce que rien n’est plus important que ce que l'on n'attend pas.
La soupe du soir, qui peut être verte, jaune ou rouge, qui sent l’herbe et le poivre frais, qui raconte surtout ce que le jardin avait à offrir, aujourd’hui, ici, maintenant: ortie, betterave, chou, brocolis, carotte, topinambour, fève ou poireau.
Le fromage du jeudi soir, quand on sait qu’on peut finir tous les petits bouts parce que vendredi matin, c’est jour de marché et qu’on en rachètera pour la semaine. Mais fromage aussi qu’on doit faire durer le samedi et le dimanche, le lundi et le mardi, pour qu’il y en ait jusqu’au jeudi suivant, parce que le jour de marché, c’est le vendredi.
Le four, qu’on allume une fois par semaine et où l’on cuira pains, biscuits et tartes pour plusieurs jours. Pas le four qu’on allume pour décongeler une pizza, sans y penser, en appuyant sur un bouton. Plutôt le four qui chauffera la pièce encore longtemps après qu’on l’aura éteint, qui invite à rester autour d’une infusion à parler, lire ou jouer au go.
La douche – un cabanon en bois adossé au mur extérieur dans l'angle Nord-Ouest de la grange –, dont l'eau brûlante arrive tout droit de la chaudière. Bac à douche et carrelage posés à même la terre, intérieur en bois brut et ambiance de sauna scandinave. Les douches nocturnes y sont un moment magique quand l’obscurité, le froid mordant et l’herbe détrempée sous les pieds nus font place au bain de vapeur, à la lueur de la bougie, au ciel étoilé qui dessine les crêtes de la Barguillère, à l'odeur de la mousse fraîche sur le mur en pierre. Le luxe est décidément un concept à géométrie non euclidienne!
La petite caravane où on dormait, un peu à l'écart. Elle est ringarde ou vintage au choix, mais douillette et attachante en tout cas. Un concentré de home sweet home en version moquette et formica au milieu du vert, du bois et de la pierre. Elle représente autant ce que l'on sait ne pas vouloir (le rêve en plastique, formaté et industriel, du beauf' juilletiste) qu'une autre bulle touchante de bien-être ascétique. Un paradoxe posé sur 4 parpaings...
En deux courtes semaines, ces deux-là nous ont donné la sensation de vivre la construction de leur logement définitif comme un voyage, pas comme une transition, pas comme une frustration ni comme un intérim. Ils habitent les travaux, le studio, les jours et les saisons qui passent pendant que le chantier avance à son rythme. Au leur. Ils me rappellent cette phrase, entendue de je ne sais plus quelle bouche : «d’aucun moment de ma vie, je ne veux pouvoir dire que je n’y étais pas». Ne pas s’absenter, ne pas déserter ces minutes que l’on transite, fugaces, entre Rien. La “maison”, elle, occupera le coin Sud-Ouest sur deux étages, regroupera en un espace fini toutes les îles de l’archipel, qu’ils garderont pour les amis, les de-passage, les helpers. La “maison”, on y a travaillé deux jours, pour maçonner en vieille pierre et mortier à la chaux autour des fenêtres de l’étage. Et on aimerait déjà y être, bien sûr. La voir, la vivre. Tout en sachant qu’un foyer, c’est justement ce chemin qui le fait, qui nous permet de l’habiter, comme d’autres apprivoisaient un renard, se découvraient un ami : avec du temps, de l’attente. «Everyday is a journey, and the journey itself is home», nous dit Matsuo Bashou. Et la question est là, qui nous taraude : comment fait-on pour choisir une maison sur catalogue, pour y faire livrer des meubles qu’on a acheté sur internet ?
chez L. et R., version earth et version street view. |
Les toilettes sèches, où l’on arrive après avoir traversé le potager, où l’on sent surtout l’odeur de la sciure, où l’on se prend à regarder les montagnes par les ouvertures de la palissade, où l’on est à l’abri même si pluie et vent ne sont jamais loin, où l’on lit “la valeur de la monnaie” ou “construire sa maison en paille” parce que rien n’est plus important que ce que l'on n'attend pas.
La soupe du soir, qui peut être verte, jaune ou rouge, qui sent l’herbe et le poivre frais, qui raconte surtout ce que le jardin avait à offrir, aujourd’hui, ici, maintenant: ortie, betterave, chou, brocolis, carotte, topinambour, fève ou poireau.
Le fromage du jeudi soir, quand on sait qu’on peut finir tous les petits bouts parce que vendredi matin, c’est jour de marché et qu’on en rachètera pour la semaine. Mais fromage aussi qu’on doit faire durer le samedi et le dimanche, le lundi et le mardi, pour qu’il y en ait jusqu’au jeudi suivant, parce que le jour de marché, c’est le vendredi.
Le four, qu’on allume une fois par semaine et où l’on cuira pains, biscuits et tartes pour plusieurs jours. Pas le four qu’on allume pour décongeler une pizza, sans y penser, en appuyant sur un bouton. Plutôt le four qui chauffera la pièce encore longtemps après qu’on l’aura éteint, qui invite à rester autour d’une infusion à parler, lire ou jouer au go.
La douche – un cabanon en bois adossé au mur extérieur dans l'angle Nord-Ouest de la grange –, dont l'eau brûlante arrive tout droit de la chaudière. Bac à douche et carrelage posés à même la terre, intérieur en bois brut et ambiance de sauna scandinave. Les douches nocturnes y sont un moment magique quand l’obscurité, le froid mordant et l’herbe détrempée sous les pieds nus font place au bain de vapeur, à la lueur de la bougie, au ciel étoilé qui dessine les crêtes de la Barguillère, à l'odeur de la mousse fraîche sur le mur en pierre. Le luxe est décidément un concept à géométrie non euclidienne!
La petite caravane où on dormait, un peu à l'écart. Elle est ringarde ou vintage au choix, mais douillette et attachante en tout cas. Un concentré de home sweet home en version moquette et formica au milieu du vert, du bois et de la pierre. Elle représente autant ce que l'on sait ne pas vouloir (le rêve en plastique, formaté et industriel, du beauf' juilletiste) qu'une autre bulle touchante de bien-être ascétique. Un paradoxe posé sur 4 parpaings...
En deux courtes semaines, ces deux-là nous ont donné la sensation de vivre la construction de leur logement définitif comme un voyage, pas comme une transition, pas comme une frustration ni comme un intérim. Ils habitent les travaux, le studio, les jours et les saisons qui passent pendant que le chantier avance à son rythme. Au leur. Ils me rappellent cette phrase, entendue de je ne sais plus quelle bouche : «d’aucun moment de ma vie, je ne veux pouvoir dire que je n’y étais pas». Ne pas s’absenter, ne pas déserter ces minutes que l’on transite, fugaces, entre Rien. La “maison”, elle, occupera le coin Sud-Ouest sur deux étages, regroupera en un espace fini toutes les îles de l’archipel, qu’ils garderont pour les amis, les de-passage, les helpers. La “maison”, on y a travaillé deux jours, pour maçonner en vieille pierre et mortier à la chaux autour des fenêtres de l’étage. Et on aimerait déjà y être, bien sûr. La voir, la vivre. Tout en sachant qu’un foyer, c’est justement ce chemin qui le fait, qui nous permet de l’habiter, comme d’autres apprivoisaient un renard, se découvraient un ami : avec du temps, de l’attente. «Everyday is a journey, and the journey itself is home», nous dit Matsuo Bashou. Et la question est là, qui nous taraude : comment fait-on pour choisir une maison sur catalogue, pour y faire livrer des meubles qu’on a acheté sur internet ?
Alors en attendant, L. et R.
apprivoisent leurs renards au premier étage, dans la très grande salle sous
combles, dont la balustrade ouvre plein Est sur les silhouettes en chien
de fusil de Roquefixade et Montségur. Tout y est prétexte à se réunir, à jouer,
à danser et à se marier. Le plancher, ils l'ont même posé pour ça, avec un groupe de
copains, il y a deux ans: pour s’y marier sans retourner inopinément au
rez-de-chaussée entre deux pas de valse! En deux petites semaines, la liste est longue de tout ce
qu’on leur doit, de ce qu’ils ont donné et partagé: de leur vie, de leur
temps, de leur espace, d’eux-mêmes. Et puis on leur doit aussi un très beau
moment en compagnie de Jean Giono, avec «L’homme qui plantait des
arbres», superbement animé par Frédéric Back et conté par Philippe Noiret.
Puisqu’on n’a pas de photos, puisqu’on n’a pas voulu en prendre, on vous le
prête pour vous mettre quand même quelques images dans la tête et, on espère,
un sourire sur les lèvres. Cadeau!
Post délicieux, merveilleusement écrit, touchant, j'en ai la chair de poule.
ReplyDeleteGuillem
guapo!
ReplyDeleteets un amor i et mereixes el premi al millor seguidor del blog. també al millor (i únic) comentarista! ;p
petonets des de Bèlgica