Moscou: les murs auraient-ils des oreilles?
Résumé de l'épisode précédent: la nuit a été courte; le passage de la frontière, brutal; le comité d'accueil, peu engageant. Pour rester dans le ton, le petit matin nous gratifie d'un froid pas tout à fait de saison en ce début août, servi avec sa garniture de gris monotones de l'autre côté de la fenêtre embuée. Ciel couvert et plafond bas au-dessus du béton. Bref: un trois huit triste comme les pierres.
Quand le train nous vomit finalement, encore chiffonnés de la nuit et quelque peu incrédules, sur le quai de la gare Rizhskaia, on se retrouve sous l'entrejambe humide d'une bretelle d'autoroute, devant l'orifice béant d'un échangeur souterrain, dans l'haleine tiède d'une bouche de métro: soudain, on est à Moscou. Pas un rouble en poche, pas l'ombre d'un ATM en vue et pas moyen d'acheter de tickets de métro avec une carte bleue: on se dit que l'Aventure, la vraie (celle qui va, comme on dit, avec un grand A), ne fait que commencer. Et on se félicite d'avoir, la veille - avant de quitter l'UE et perdre définitivement l'internet gratuit de notre forfait (c'est pas pour faire de la pub à un fournisseur qui est ailleurs loin d'être irréprochable, mais il faut bien reconnaître que ses Pass'Destination sont pratiques) - cherché par précaution les distributeurs automatiques de billets des environs juste au cas où, et taché de mémoriser l'emplacement de deux d'entre eux. Voilà donc Wallis seule, assise sur le perron de la gare, flanquée de deux sacs à dos plus gros qu'elles, mal réveillée et à la merci de tout et n'importe qu(o)i. Voici donc Futuna, hagard, parti en quête d'une machine à sous où il pourra à loisir avoir l'air d'un touriste tout frais débarqué, se faire agresser, racketter, détrousser et probablement éventrer avec le cul d'une bouteille de vodka. Bienvenus au pays merveilleux des Pokemon! Ne passez pas par la kal-khaze départ, ne recevez pas vingt mille roubles. Fin de la partie.
Quinze minutes plus tard, pourtant, non sans avoir essuyé les regards méfiants de quelque vieille à teckel et chignon (c'était bien la peine de venir jusqu'ici pour tomber sur les mêmes qu'au marché de Gourbit-lès-ploucs, Haute-Ariège, soit dit en passant), il est de retour sans encombre, presque déçu de n'avoir rencontré ni difficultés particulières, ni moujiks à chapka. Dans sa poche poitrine, un seul gros billet: l'équivalent d'environ 200 fois le prix du ticket de métro. Zut alors! S'il y avait un bouton "petites coupures" sur le DAB, il ne l'a pas vu. Ce que c'est que d'être analphabète fonctionnel, tout de même! "Qu'à cela ne tienne - s'exclame Wallis en froissant machinalement le gros billet entre les doigts de sa main gauche pour voir si, comme une page de l'Huma, il y imprime sa marque à l'encre rouge et noire... on va demander de la monnaie au guichet, ça nous fera un sujet de conversation avec l'aimable préposé(e) du métro qui se fera un plaisir de nous aider, les oiseaux siffleront l'Internationale, la kolkhozienne au sein et à la gerbe de blé triomphants nous invitera à danser une mazurka dans la rame: en un mot, la Russie nous recevra avec l'emphase qu'on lui connait, tout sera beau et les lendemains chanteront dès aujourd'hui!"... En théorie, peut-être. Mais en Russie: la machine à tickets de métro n'accepte que les petites coupures, la préposée est visiblement exaspérée par le fléau galopant de l'analpha-bêtise fonctionnelle des cargaisons de touristes que lui déverse quotidiennement le Riga-Moscou et, en 2016, la Kolkhozienne doit se déplacer avec Über. Après avoir manqué se faire lyncher par un gars qui ressemble à Pikachu, avec des bras comme mes cuisses et qui trouve visiblement que prendre le métro avec de gros sacs à dos, ça ne se fait pas et que les taxis, c'est pas fait pour les chiens; après s'être un peu perdus et beaucoup émerveillés dans les cathédrales souterraines du метрополите́н (Lombrives! Lascaux! Padirac! Vous pouvez prendre vos rupestres gribouillis et vos stalactrucs pour aller les pendre à un cintre dans vos placards, parce que pour ce qui est de la spéléologie grandiloquente, le métro moscovite se pose un peu là...); après avoir manqué un tram et pris quelques couloirs à contre-foule, on est finalement devant la bouche de métro d'O. avec une bonne heure d'avance pour le rendez-vous fixé par A., notre hôte Couchsurfing des trois prochains jours.
"avec un ciel si bas qu'un canal s'est perdu [et] qu'il faut lui pardonner..." |
voyage au centre de la terre, version moscovite non sous-titrée |
Quinze minutes plus tard, pourtant, non sans avoir essuyé les regards méfiants de quelque vieille à teckel et chignon (c'était bien la peine de venir jusqu'ici pour tomber sur les mêmes qu'au marché de Gourbit-lès-ploucs, Haute-Ariège, soit dit en passant), il est de retour sans encombre, presque déçu de n'avoir rencontré ni difficultés particulières, ni moujiks à chapka. Dans sa poche poitrine, un seul gros billet: l'équivalent d'environ 200 fois le prix du ticket de métro. Zut alors! S'il y avait un bouton "petites coupures" sur le DAB, il ne l'a pas vu. Ce que c'est que d'être analphabète fonctionnel, tout de même! "Qu'à cela ne tienne - s'exclame Wallis en froissant machinalement le gros billet entre les doigts de sa main gauche pour voir si, comme une page de l'Huma, il y imprime sa marque à l'encre rouge et noire... on va demander de la monnaie au guichet, ça nous fera un sujet de conversation avec l'aimable préposé(e) du métro qui se fera un plaisir de nous aider, les oiseaux siffleront l'Internationale, la kolkhozienne au sein et à la gerbe de blé triomphants nous invitera à danser une mazurka dans la rame: en un mot, la Russie nous recevra avec l'emphase qu'on lui connait, tout sera beau et les lendemains chanteront dès aujourd'hui!"... En théorie, peut-être. Mais en Russie: la machine à tickets de métro n'accepte que les petites coupures, la préposée est visiblement exaspérée par le fléau galopant de l'analpha-bêtise fonctionnelle des cargaisons de touristes que lui déverse quotidiennement le Riga-Moscou et, en 2016, la Kolkhozienne doit se déplacer avec Über. Après avoir manqué se faire lyncher par un gars qui ressemble à Pikachu, avec des bras comme mes cuisses et qui trouve visiblement que prendre le métro avec de gros sacs à dos, ça ne se fait pas et que les taxis, c'est pas fait pour les chiens; après s'être un peu perdus et beaucoup émerveillés dans les cathédrales souterraines du метрополите́н (Lombrives! Lascaux! Padirac! Vous pouvez prendre vos rupestres gribouillis et vos stalactrucs pour aller les pendre à un cintre dans vos placards, parce que pour ce qui est de la spéléologie grandiloquente, le métro moscovite se pose un peu là...); après avoir manqué un tram et pris quelques couloirs à contre-foule, on est finalement devant la bouche de métro d'O. avec une bonne heure d'avance pour le rendez-vous fixé par A., notre hôte Couchsurfing des trois prochains jours.
"tu marches tel un robot dans les couloirs du métro" peut-être, mais quelle classe! |
la main de Youri, où d'enthousiastes patriotes viennent se frotter le crâne; le Vladimir Ilyich guidant le peuple sur la Voie lactée du bonheur! |
...au détour du pavillon de l'Ossétie, entre un avion de chasse et un vrai Sputnik® désacralisé,
un "era rusa y se llamaba Laïka, ella era una perra muy normal"; Youri reviens, You-ouri reviens, Youri reviens parmi les tiens... |
ce somptueux décor de conte de fées abrite un authentique... piège à cons. Si si! |
Le lendemain, enduits d'erreur - comme disait David O. - par la lecture de blogs stupides écrits par des #digital nomads nords-américains désespérément en quête de clics pour financer leur airBnB hipster dans une ville à la mode ou leur coworkation exotique du Sud-Est asiatique, on part visiter le (soit-disant) "meilleur marché aux puces de Russie" (sic.). Bon, quand on est con, on est con: ce genre de promesses n'engagent que ceux qui les croient. Alors bien sûr, rendus là loin de tout, au milieu de nulle part, en voyant le Hummer Limo hyper vulgos garé devant un grotesque parc d'attractions en carton-pâte et alentour, les vingt mecs en train de re-souder à toute vitesse d'authentiques vieux morceaux du rideau de fer et de peindre à la hâte des places de parkings sur du bitume encore mou, on commence à flairer l'embrouille... Un authentique marché aux puces? Un vrai piège à cons, oui! À l'intérieur, il n'y a que nous et un autocar de Chinois (c'est une métonymie, évidemment: l'autocar est garé dehors, pas loin du Hummer; c'est le contenant. Avec nous, il n'y a que les Chinois, à pied; le contenu, donc). "Pas bon signe, ça", conclut Wallis avant de se frayer un chemin, déterminée, entre les selfie sticks brandis tout au long du hall. En fait de super marché aux puces méga-authentique, on erre entre les allées d'une espèce de supermarché de noël tout en isbas préfabriquées façon Ikéa. Dieu merci, ça n'ouvre pas avant 18 heures et on peut repartir, jurant mais un peu tard etc. On aura perdu une précieuse matinée, mais pas notre dignité.
au hasard des galeries du légendaire Métropolitain (museum of art?) |
"La place rouge était vide", chante l'autre. Sans blague? Non mais, et puis quoi encore? Et Nathalie, elle bat le beurre? Y a-t-il seulement mis les pieds, sur la Place Rouge, le Gilbert? Sans déconner: dans quel univers parallèle il l'a vue vide, sa Place Rouge? Elle est noire de monde! C'est d'ailleurs en voyant la queue pour aller rendre hommage à la momie de Lénine qu'on a compris d'où leur vient cette infinie patience, aux Russes, dans la queue de la Moreneta, à Montserrat. Trois plombes debout par tous les temps pour trois secondes d'intimité avec une relique sacrée, et ceux de devant qui ne veulent pas laisser la place et ceux de derrière qui te poussent déjà dehors. Au moins, depuis Montserrat, on peut voir la mer... Sinon, c'est très beau: Saint-Basile, le Kremlin, le cœur de l'Empire, le centre du monde, la boutique Louis Vuitton, tout ça. Très très beau. Si on ne fait pas une fausse-route en essayer d'avaler des contradictions taille XXL, c'est grandiose. Mais on y reviendra...
380º de Place Rouge; Wallis & Futuna en mode selfie; deux kolkhoziennes 2016: chics et naturelles; le mausolée de Vladimir Ilyich. |
le (fameux) bar-lachnikof annonce la couleur: "we're OPEN" (-minded?) |
On a par exemple et dans le désordre: fait des courses; mangé des sandwiches faits maison sur un banc; cuisiné une bolognaise au thon, cherché une laverie; fait le plein de soupes de nouilles déshydratées pour le train. On a même répété le trajet en métro jusqu'à la gare Yaroslavskaia la veille du départ - intentionnellement! - pour en vérifier la durée, être sûrs que c'était la bonne gare, que s'il y avait une chance de se perdre on ne le ferait pas le jour J, etc. Oui! Un(t)raveling c'est aussi ça et on est aussi ce genre de personnes. Voilà. Ça fait du bien de le dire.
Après cette confession désarmante et humiliante dans le plus pur J.J. Rousseau-style, on n'a plus grand-chose à offrir et on va donc se quitter - jusqu'à la prochaine fois, évidemment. Mais avant, on va parler un peu des trucs qui tâchent, quand même. Et des trucs qui fâchent aussi, tiens. Tant pis pour la censure qui va s'abattre sur ce pauvre blog comme les mouches sur un Livarot en plein juillet. On a pourtant essayé de remettre ce post cent fois sur le métier, de le polir sans cesse et le repolir. Las! Chassez la vérité, elle revient au galop, un peu à la manière d'un aïoli après quelques heures de digestion. Si on disparaît sans laisser de traces, c'est que Pikachu nous a pris et qu'on est prisonniers d'une Pokeball quelque part en Sibérie... Gotta catch 'em all! Allez, ça commence à bien faire les boniments: sérieusement, il y a un ou deux petits trucs à dire sur cette ville, même en y passant seulement trois jours, même sans parler la langue ou en communiquant dans celle d'Hélène et les garçons... Même, même, même...
cherchez bien: même là où l'on ne l'attend pas, Vladimir nous montre le chemin! |
au détour d'une rue du très posh Arbat, la Kolkhozienne... collection été 2016. |
Vu d'ici, en ce début de XXIème siècle, il est apparemment facile de regretter la pan-, la grande, la mère Russie: indifféremment blanche et/ou rouge. Comme si la transition, il y a un siècle, s'était faite en douceur! Comme si leur autre dénominateur commun, au-delà de cette regrettée grandeur, n'était l'agonie de presque tous au bénéfice exclusif de quelques-uns. Tout ça pèse visiblement bien peu au regard de l'oeuvre accomplie. Cette fierté d'être LA grande nation, celle des 10.000 km, celle qui s'étend de la Méditerranée au Pacifique: la troisième Rome (!!!) comme on l'appelle ici, repose sur des motifs qui ont au mieux quarante ans, souvent un siècle (ou deux). On nous apprend par exemple que beaucoup de jeunes "veulent étudier l'astrophysique pour suivre les pas d'un Gagarine"... qui nous a quittés en 1968. En définitive, tout le Moscou que l'on célèbre et que l'on glorifie est au passé composé et au plus-que-parfait; un passé re-composé et plus encore que parfait, un idéalisé. Mais alors, et le présent dans tout ça, qu'est ce qu'il devient? Les temps changent, le discours officiel et les valeurs dominantes aussi. Il y a dans l'air une fascination décomplexée et (un peu) vulgaire pour l'argent, le luxe, l'ostentation. Voitures et bijoux s'exhibent dans la rue et s'exposent dans les showrooms Audi et Vuitton, à un jet de pierre (précieuse) du mausolée de Lénine. Comme si le fric-roi était la solution à tous les problèmes - problèmes de mémoire compris. Comme si on ne crevait plus de faim ni de froid d'un bout à l'autre de l'Empire. Une nouvelle profession de foi et hop! rien n'a changé mais tout est différent, comme par magie (-lbert Bécaud?).
un p'tit slogan valant mieux que de longs discours: la sensation c'est un peu... |
Du coup, et parce qu'à un moment, il faut conclure: le lendemain matin de bonne heure, après une nuit de sommeil réparatrice, on a mis nos sacs sur nos dos (chacun le sien), on a fait des bises à, et une photo souvenir avec, notre hôtesse A. (elle avait un joli nom, not' guide!), on a refait le trajet déjà exploré la veille jusqu'à la Yaroslavskaia où l'on a tendu, émus et tout excités, avec des frissons plein les jambes et des provisions lyophilisées plein le trolley, nos passeports et nos billets au contrôleur de la voiture 12 d'un train 002 "РОССИЯ" à destination d'un premier bout du monde: Vladivostok. En voiture! Et on vous raconte ça très bientôt!
* à propos du monument l'Ouvrier et la Kolkhozienne, Wikipedia nous apprend qu'il fut créé par l'artiste russe Vera Ignatievna Moukhina en 1937 et devint le symbole du « réalisme socialiste » soviétique.
De style Art déco, le monument se compose de deux figures : une femme (la kolkhozienne) et un homme (l'ouvrier), brandissant respectivement la faucille et le marteau, symboles communistes des deux branches du prolétariat (l'agriculture et l'industrie).
Haute de 25 mètres et pesant 80 tonnes, cette sculpture monumentale fut construite spécialement pour l'Exposition universelle de 1937 à Paris, où elle surmontait le pavillon de l'Union soviétique.
Elle se trouve actuellement au nord de Moscou, non loin de la station de métro VDNK et de l'hôtel Cosmos, à l'entrée du Centre panrusse des expositions, sur l'avenue Prospekt Mira. Voilà.
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20 francs le kilo
Notre section spéciale (hashtag 20 francs le kilo) pour tous les fans de comptes, les stressés du budget (serré) et ceux qui seraient piqués par la curiosité - ou par le virus - du voyage sans avion(s)... Ils trouveront donc ici et dans cet ordre: la vérité, toute la vérité et rien que la vérité (arrondie, sans virgules et avec parfois quelques oublis mineurs et fortuits, il est vrai). Mais dans les grande lignes, voilà ce que ça donne :
- Moscou intra-muros (bus et métro, sans pass ni abonnement): (qsp. 2 personnes, 3 jours) 50 euros; hébergement Couchsurfing (2 nuits).
Soit environ 8 euros par personne et par jour - en marchant pas mal, faut l'avouer. Aucune idée en revanche du coût au kilomètre, même approximatif!
Soit environ 8 euros par personne et par jour - en marchant pas mal, faut l'avouer. Aucune idée en revanche du coût au kilomètre, même approximatif!
le fameux Hummer Limo que l'on n'a malheureusement pas eu l'occasion d'essayer... |
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