...Irkutsk-Vladivostok: train-train au pays des Soviets
Deuxième moitié de notre voyage épique à bord (ou "le long") du Transsiberian Railway. Cette fois-ci en français, parce que le jeu de mots du titre fonctionne quand même beaucoup mieux comme ça qu'en britannique-seconde-langue... On promet de rétablir l'équilibre linguistique au cours des prochains posts! Voilà, c'était important de faire cette mise au point (vraiment?). Ceci étant, vous pouvez bien sûr en lire la première partie ici. Ou encore, ce récit poignant, amer et humide d'un intermède à Irkutsk et le long des berges du lac Baïkal. Celui-ci est quant à lui en pan-hispano-castillou (spéciale cace-dédi à la jeune Miri D., qui nous suit peut-être, ou pas) mais comme toujours, ceux qui le souhaitent peuvent appliquer le filtre poético-surréaliste de la traduction automatique de Google en cliquant sur l'un des drapeaux en pied de page. Allez, assez bavardé, le train va partir, en voiture tout le monde et bon voyage!
Futuna, à peine chargé et à peine mouillé, entend son train approcher... |
Après la saucée qui a fait déborder le vase, à la dernière minute, comme on traversait le pont sur l'Angara juste avant d'arriver à la gare, on monte à bord avec, paradoxalement, la furieuse envie de pouvoir se laver, se sécher et se sentir à nouveau propres... Quand on connait le niveau d'hygiène auquel on peut raisonnablement aspirer à bord et en troisième classe, ça fait sourire - ou grincer des dents, selon le recul que l'on a. Et si les aventures en camion en 2014 nous ont appris un peu à rester zen même sales, face à (et sous!) la pluie, l'escapade Irkutsk-Olkhon vient de nous administrer une piqûre de rappel bien dosée. On prépare donc rapidement nos nouilles instantanées sous l’œil dubitatif des voisins, apparemment surpris par notre niveau d'intégration silencieuse des us rossiyens, puis on passe un long moment à lire avachis (et hyper à l'étroit) sur la couchette du bas, avant d'aller dormir chacun chez soi. Tout comme nous, le paysage au dehors est encore imprégné des pluies torrentielles des jours précédents. Ces images d'un monde au lendemain du déluge vont d'ailleurs nous accompagner les jours suivants. On ne s'étonnerait guère de voir une colombe portant dans son bec un rameau d'olivier entrer par une fenêtre du train. Seulement voilà: celles-ci ne s'ouvrant pas, le pigeon biblique peut aller voir sur le mont Ararat si on y est. Difficile de ne pas vous coller ici un peu de Victor Hugo, avec une dédicace, cette fois, à A. de Moscou qui l'apprécie beaucoup (Hugo): si tu nous écoutes, A.:
quelques photos par la fenêtre et après la pluie: notez comme tout luit, goutte et déborde, en pluie et en chagrin, comme disait M. Brel. |
"La terre, où l’homme errait sous la tente, inquiet
Des empreintes de pieds de géants qu’il voyait,
Était mouillée encore et molle du déluge."
km 5610: premier arrêt et pas des moindres, vers quatre heures du matin, à Ulan-Ude. Aux premières lueurs d'un jour à peine annoncé par un halo rose en tête de convoi, la grande majorité des voyageurs occidentaux (de seconde) et chinois (de troisième) descendent du train. Ils vont chercher leur correspondance pour le Trans-mongolien vers Улаанбаатар (Ulaanbaatar ou Oulan-Bator, comme vous voudrez) et continuer de là, pour la plupart, jusqu'à Shanghai. Beaucoup de raffut, de coups de sacs et d'au revoir, puis tout à coup, le silence qui retombe sur une voiture un peu moins pleine... Trois heures plus tard, on est levés de bonne heure, dispos et frais après une petite séquence d'hygiène juste avant la cohue matinale. On a repris sans accrocs et sans s'en rendre compte le rythme lent et chaloupé du plus long voyage en train, comme qui n'a jamais rien connu d'autre. On se sent déjà un peu dans la peau d'un certain Danny Boodman T.D. Lemon Novecento, le pianiste de Baricco né à bord d'un Transatlantique et qui, à trente ans, n'avait encore jamais connu la terre ferme.
Pendant ce temps par la fenêtre, le paysage - lentement mais sûrement - se transforme au fil des kilomètres. Pour notre plus grand plaisir, l'épais rideau de forêt et ses "théories de bouleaux" chères à Tiziano Terzani, laisse la place à une steppe plus clairsemée, touffue et arbustive. Un paysage moins humide, aussi, mis en valeur par une lumière qui se se fait peu à peu plus chaude, caressante presque ; peut-être parce qu'on descend doucement vers le sud. Ou parce que la proximité croissante du fleuve Amour en instille un peu partout alentour et commence à se faire sentir, justement. Love is in the air? Ça se pourrait bien... Le choc et la frustration de l'expérience Olkhonienne se diluent dans la distance. Tout s'apaise et se fond dans le tchoucou-tchoucou hypnotique et la lente routine: on dessine, on bavarde, on somnole, on se tait. Pour un peu, et au prix d'un jeu de mots d'un genre nouveau (le ca-nagra-lembour?), j'affirmerais que la torpeur et le régime alimentaire à base d'eau chaude ont finalement raison de notre Olcon irritable. En plus, avec le déluge qu'on a essuyé sur l'île et au retour, on peut parler d'une irrigation du Olcon en bonne et due forme! Hum... Voilà, il fallait oser le recours scato-lique (ouf! encore du lourd!): ça au moins, c'est fait. Patrick Sébastien, sors de ce corps! Retournons à le cours normal de les choses...
Quelque part autour du km 6000, on commence à se sentir vraiment loin de tout et plus légers. Futuna a bien de temps en temps (disons tous les 700 ou 750 km) une petite bouffée d'angoisse à cause de la fameuse déclaration de résidence à la police de l'immigration qui doit, en principe, se faire dans les 5 jours suivant l'entrée sur le territoire, puis dans chaque nouvelle ville où l'on séjourne au moins 72 heures - or donc, ce n'est pas notre cas. Ouf! Mais hélas...
... l'on doit théoriquement et à défaut, être en mesure de justifier de factures d'hôtel pour toutes les nuits passées dans le pays. Et si l'on séjourne chez l'habitant, il faut alors faire des heures de queue avec lui au poste de police de son domicile pour faire établir une attestation d'hébergement d'étranger tamponnée et conforme, formalité aussi compliquée qu'embarrassante pour lui, qui doit présenter un titre de propriété ou un contrat de bail accompagné le cas échéant d'une lettre du propriétaire autorisant explicitement l'hébergement de touristes étrangers, etc. etc. Tout cela étant soit-disant exigé lors de contrôle d'identité aléatoires ET (bien sûr) scrupuleusement contrôlé dans les moindres détails lors de la (tentative de) sortie du territoire. Boire et déboires seraient-elles les mamelles de la mère Russie? Nous, disons-le tout net: on n'a rien de tout ça. CouchSurfing à Moscou; nuits dans le train; nuit "à la belle étoile" ("a la intemperie", qu'ils disent en espagnol, eux qui ont souvent les pieds sur terre et les duvets mouillés!) et homestay minable à Olkhon (et on n'a même pas parlé des punaises!), guesthouse à Irkutsk qui n'a fait la démarche ni à l'aller ni au retour (car il leur fallait les passeports pendant au moins 24 heures...). Futuna se voit déjà tressant sa barbe dans une geôle sibérienne en lisant en cachette l'édition clandestine de l'Archipel du goulag trouvée sous son matelas... Plusieurs blogs disent que c'est du pipeau et que personne ne contrôle jamais ce truc. D'autres expliquent en détail tout ce que l'on risque en ne suivant pas à la lettre les instructions des autorités russes. Pire encore: en consultant cinq sites russes officiels différents, on a obtenu cinq sons de cloche différents quant aux durées légales, aux formulaires de rigueur et aux démarches obligatoires à accomplir! Bon, Wallis le prend avec philosophie: ça occupe Futuna qui a toujours besoin d'une raison de s'inquiéter. Dans la mesure où on n'a laissé ni maison ni appart' derrière nous, il ne peut souffrir ni pour le gaz ni pour l'eau qui sans ça seraient sans doute mal fermés et en train de fuir irrémédiablement à huit ou neuf mille kilomètres d'ici...
km 6550: peu avant d'arriver à Чернышевск (Chernyshevsk), on fait la connaissance de M.-S. Rendons à César, d'ailleurs: c'est bien elle qui fait la nôtre, puisqu'elle fait le premier pas et engage la conversation. Parisienne de coeur, adoptée par Bruxelles où elle travaille pour la Commission Européenne, M.-S. est de notre génération et devient instantanément notre partenaire de thés, de conversations et de regardages par la fenêtre. C'est tellement agréable de parler français en ayant en commun non seulement Hélène et les garçons mais aussi trente ans de références culturelles ("culture" au sens large, hein. Y'a pas que la Princesse de Clèves ou "Zadig & Voltaire" dans la vie! Reiser, Bretécher et les Guignols de l'info, c'est aussi de la culture, fut-elle pop' et n'en déplaise à certains...). Enfin, M.-S. aime la Russie, parle le Russe et en connaît un rayon. Elle confirme, approfondit et éclaire pas mal de ce que nous avions perçu et ressenti à Moscou et ailleurs. On reparle beaucoup de cette schizophrénie surprenante entre Empire et Union, réunis et réconciliés à grands renforts de propagande nostalgique d'une Russie grande et forte d'une part, de paranoïa d'une cabale internationale contre sa souveraineté et son rayonnement d'autre part. Elle nous explique un peu mieux le comment et le pourquoi du culte voué à Pikachu: figure forte, leader suprême et le premier depuis des lustres à incarner l'idéal de guide déterminé, autoritaire et inflexible. Le seul capable de naviguer cette grande galère en forme de brise-banquise contre les vents et les marées de "l'hostilité occidentale" (sic.). Et s'il faut casser quelques œufs (d'esturgeon?) pour y arriver, on lui pardonne, car il châtie ses Pokemon autant qu'il les aime! Faut-il y voir une sorte de prédisposition/programmation historique au syndrome de Stockholm? En quelque sorte, oui.
km 7835: arrêt d'une demi-heure sur le quai de la petite gare de Белогорск (Belogorsk), plus ou moins au milieu de nulle part. À défaut d'être vraiment chaude, la nuit est tiède; elle est belle pour les otages du Rossiya, trop contents de pouvoir descendre sur le quai se dégourdir les pattes quelques minutes. On admire une statue du camarade Vladimir Ilyich guidant le peuple - tiens, ça alors c'est curieux, ça faisait un bail qu'on n'en avait pas vu une! La main tendue, il nous invite à aller dans cette direction; ou bien s'agit-il plutôt d'un avertissement? "Tu vas la recevoir, hein!", "Tu veux la voir de près, c'est ça?", "Tu l'auras pas volée celle-là, tu sais!", etc.
Autre surprise de taille sur le quai: des dizaines et des dizaines de libellules, pas en grande forme mais pas encore tout à fait mortes non plus. On les piétine sans s'en rendre compte puis une fois qu'on les a remarquées, on essaye de ne pas marcher dessus mais ça n'est pas facile vue leur densité. C'est curieux. Le changement de saison peut-être? Ou alors on a été les témoins (chanceux) d'un essai nucléaire secret, d'une pulvérisation de néo-nicotinoïdes ou de pyréthrine à grande échelle, un test de bombe à impulsion électro-magnétique, un atterrissage d'OVNIs dans la région... Bon, le mystère reste entier et le tout paraît très confus. Soudain, comme qu'on s'apprête à remonter en voiture, on entend une drôle de musique; assez avant-gardiste, pour tout dire, elle évoque un peu (qu'ils nous pardonnent, il s'agit plus d'une occasion un peu désespérée de leur rendre hommage que d'une moquerie) un duo d'Evelyn Glennie et Fred Frith. À ceci près que la motivation nous paraît tenir moins ici dans la création de musique vivante que dans la réalisation scrupuleuse de ce qu'on imagine être une tache routinière. En quelques secondes, "il" est arrivé en tête de train: à peine son concert achevé, il disparaît (aussitôt dit aussitôt fait, hop!) et déjà, on doit repartir. S'il ne s'épaissit pas, le mystère reste en tout cas entier, dont la clef viendra en temps utile, ou pas*.
km 8400: peu après l'aurore, on fait un arrêt-minute à Биробиджан (Birobidzhan; non mais, sérieusement: depuis le temps, vous devriez déjà tous déchiffrer le cyrillique, non? Qu'est ce que vous f---ez? Mince quoi, c'est vrai à la fin, faites un petit effort! En plus, c'est bon pour -ou plutôt contre- l'Alzheimer!). C'est notre dernière journée à bord: ce soir vers 20:30. heure locale, on sera en principe et si Ford veut, à Vladivostok, au bout du bout de la ligne, au bout du bout du grand pays, au bout du bout du continent eurasien et, pour nous aussi un peu au bout du bout du monde.
Pour marquer le coup et fêter ça comme il se doit, on décide donc de passer cette journée... exactement comme toutes les autres: à lire, gribouiller dans les carnets de voyage, à rêvasser en regardant par la fenêtre, à boire des thés en bavardant à deux ou à trois avec M.-S., qui nous parle de (et nous recommande vivement, d'ailleurs) la toute fraîchement prix-Nobelée Svetlana Alexeievich et de deux de ses livres en particulier: La fin de l'homme rouge et La guerre n'a pas un visage de femme...
Il y a évidemment de moins en moins de monde dans le train, les trois pelés et le tondu se reconnaissent et se sourient maintenant sans réticence aux arrêts sur le quai. Par exemple: lors de notre escapade au wagon restaurant l'autre jour, on tombe dans une voiture de seconde sur un "père et sa fille" (caractérisation moralement plus facile à admettre de la nature de leur relation, dans la mesure où leur différence d'âge est conséquente**), déjà aperçus plusieurs fois sur le quai: ils nous sourient, on leur sourit et du coup, ils s'encanaillent même au point de venir visiter les voitures de troisième. Ils veulent sans doute voir des locaux et des prolos d'un peu plus près, dans leur habitat naturel. Avec leur casque colonial et leur appareil photo en bandoulière, ils sont si mignons! Ceci dit, ils nous saluent chaleureusement depuis, tout émus d'avoir trouvé une forme de vie intelligente - peut-être même un peu d'humanité, qui sait? - hors de leur compartiment doré...
Voilà voilà. Entre-temps le soleil s'est couché sur une grande étendue d'eau à notre droite: un étang énorme ou un bras de mer, on ne sait pas bien. Il y a bien un semblant de sac et de ressac, ça pourrait être le Pacifique déjà, on se dit. On en a plein les yeux, et plein les jambes aussi, malgré l'hégémonie de la position assise qui aura régné sans partage sur nos journées. On descend les sacs et on attache tout bien en place: la tente, les tapis de sols, les poches extérieures bourrées à bloc, les housses de protection couvre-tout bien en place pour (comment dire?) protéger tout. On rend les draps aux dames; on prépare le chariot et les sacs "à main"; on s'habille et on se couvre, parce que dehors aussi: ça se couvre. Bin tiens, y'avait longtemps!
encore et toujours des arbres (bouleaux inclus) mais le changement, c'est... bientôt! |
Pendant ce temps par la fenêtre, le paysage - lentement mais sûrement - se transforme au fil des kilomètres. Pour notre plus grand plaisir, l'épais rideau de forêt et ses "théories de bouleaux" chères à Tiziano Terzani, laisse la place à une steppe plus clairsemée, touffue et arbustive. Un paysage moins humide, aussi, mis en valeur par une lumière qui se se fait peu à peu plus chaude, caressante presque ; peut-être parce qu'on descend doucement vers le sud. Ou parce que la proximité croissante du fleuve Amour en instille un peu partout alentour et commence à se faire sentir, justement. Love is in the air? Ça se pourrait bien... Le choc et la frustration de l'expérience Olkhonienne se diluent dans la distance. Tout s'apaise et se fond dans le tchoucou-tchoucou hypnotique et la lente routine: on dessine, on bavarde, on somnole, on se tait. Pour un peu, et au prix d'un jeu de mots d'un genre nouveau (le ca-nagra-lembour?), j'affirmerais que la torpeur et le régime alimentaire à base d'eau chaude ont finalement raison de notre Olcon irritable. En plus, avec le déluge qu'on a essuyé sur l'île et au retour, on peut parler d'une irrigation du Olcon en bonne et due forme! Hum... Voilà, il fallait oser le recours scato-lique (ouf! encore du lourd!): ça au moins, c'est fait. Patrick Sébastien, sors de ce corps! Retournons à le cours normal de les choses...
Quelque part autour du km 6000, on commence à se sentir vraiment loin de tout et plus légers. Futuna a bien de temps en temps (disons tous les 700 ou 750 km) une petite bouffée d'angoisse à cause de la fameuse déclaration de résidence à la police de l'immigration qui doit, en principe, se faire dans les 5 jours suivant l'entrée sur le territoire, puis dans chaque nouvelle ville où l'on séjourne au moins 72 heures - or donc, ce n'est pas notre cas. Ouf! Mais hélas...
le long d'un fleuve de Sibérie orientale: si ce n'est pas l'Amour, ce sont les alentours... |
like a bridge over troubled water (pardon S.&G., cette fois on a choisi Presley! |
km 6550: peu avant d'arriver à Чернышевск (Chernyshevsk), on fait la connaissance de M.-S. Rendons à César, d'ailleurs: c'est bien elle qui fait la nôtre, puisqu'elle fait le premier pas et engage la conversation. Parisienne de coeur, adoptée par Bruxelles où elle travaille pour la Commission Européenne, M.-S. est de notre génération et devient instantanément notre partenaire de thés, de conversations et de regardages par la fenêtre. C'est tellement agréable de parler français en ayant en commun non seulement Hélène et les garçons mais aussi trente ans de références culturelles ("culture" au sens large, hein. Y'a pas que la Princesse de Clèves ou "Zadig & Voltaire" dans la vie! Reiser, Bretécher et les Guignols de l'info, c'est aussi de la culture, fut-elle pop' et n'en déplaise à certains...). Enfin, M.-S. aime la Russie, parle le Russe et en connaît un rayon. Elle confirme, approfondit et éclaire pas mal de ce que nous avions perçu et ressenti à Moscou et ailleurs. On reparle beaucoup de cette schizophrénie surprenante entre Empire et Union, réunis et réconciliés à grands renforts de propagande nostalgique d'une Russie grande et forte d'une part, de paranoïa d'une cabale internationale contre sa souveraineté et son rayonnement d'autre part. Elle nous explique un peu mieux le comment et le pourquoi du culte voué à Pikachu: figure forte, leader suprême et le premier depuis des lustres à incarner l'idéal de guide déterminé, autoritaire et inflexible. Le seul capable de naviguer cette grande galère en forme de brise-banquise contre les vents et les marées de "l'hostilité occidentale" (sic.). Et s'il faut casser quelques œufs (d'esturgeon?) pour y arriver, on lui pardonne, car il châtie ses Pokemon autant qu'il les aime! Faut-il y voir une sorte de prédisposition/programmation historique au syndrome de Stockholm? En quelque sorte, oui.
km 7835: arrêt d'une demi-heure sur le quai de la petite gare de Белогорск (Belogorsk), plus ou moins au milieu de nulle part. À défaut d'être vraiment chaude, la nuit est tiède; elle est belle pour les otages du Rossiya, trop contents de pouvoir descendre sur le quai se dégourdir les pattes quelques minutes. On admire une statue du camarade Vladimir Ilyich guidant le peuple - tiens, ça alors c'est curieux, ça faisait un bail qu'on n'en avait pas vu une! La main tendue, il nous invite à aller dans cette direction; ou bien s'agit-il plutôt d'un avertissement? "Tu vas la recevoir, hein!", "Tu veux la voir de près, c'est ça?", "Tu l'auras pas volée celle-là, tu sais!", etc.
surprise de taille à Belogorsk, en sortant du train: la nuit est chaude, elle est sauva-age! |
km 8400: peu après l'aurore, on fait un arrêt-minute à Биробиджан (Birobidzhan; non mais, sérieusement: depuis le temps, vous devriez déjà tous déchiffrer le cyrillique, non? Qu'est ce que vous f---ez? Mince quoi, c'est vrai à la fin, faites un petit effort! En plus, c'est bon pour -ou plutôt contre- l'Alzheimer!). C'est notre dernière journée à bord: ce soir vers 20:30. heure locale, on sera en principe et si Ford veut, à Vladivostok, au bout du bout de la ligne, au bout du bout du grand pays, au bout du bout du continent eurasien et, pour nous aussi un peu au bout du bout du monde.
dans les courbes, en se collant bien à la vitre, on peut apercevoir la tête du convoi. |
Il y a évidemment de moins en moins de monde dans le train, les trois pelés et le tondu se reconnaissent et se sourient maintenant sans réticence aux arrêts sur le quai. Par exemple: lors de notre escapade au wagon restaurant l'autre jour, on tombe dans une voiture de seconde sur un "père et sa fille" (caractérisation moralement plus facile à admettre de la nature de leur relation, dans la mesure où leur différence d'âge est conséquente**), déjà aperçus plusieurs fois sur le quai: ils nous sourient, on leur sourit et du coup, ils s'encanaillent même au point de venir visiter les voitures de troisième. Ils veulent sans doute voir des locaux et des prolos d'un peu plus près, dans leur habitat naturel. Avec leur casque colonial et leur appareil photo en bandoulière, ils sont si mignons! Ceci dit, ils nous saluent chaleureusement depuis, tout émus d'avoir trouvé une forme de vie intelligente - peut-être même un peu d'humanité, qui sait? - hors de leur compartiment doré...
la maison dont la cheminée fumait à contre-jour sur le couchant telle une loco loca... |
** ATTENTION JEU!
Sauras-tu deviner l'âge du capitai de notre Sugar daddy et celui de sa Sugar baby, sachant que leur moyenne d'âge doit tourner autour de la quarantaine (soit m=40) et que la variance associée est de 225 (v=225)? C'est facile, il suffit de se rappeler que la variance est égale au carré de l'écart-type. Mais bon, c'est pas comme si c'était un vrai problème de maths, faut aller au plus simple, hein.
La première réponse reçue dans les commentaires et par nous jugée correcte - et Ford sait qu'on n'est pas vraiment difficiles - gagne un cadeau surprise livré à domicile (non Kevin, ce ne sera pas une pizza!)
Voilà voilà. Entre-temps le soleil s'est couché sur une grande étendue d'eau à notre droite: un étang énorme ou un bras de mer, on ne sait pas bien. Il y a bien un semblant de sac et de ressac, ça pourrait être le Pacifique déjà, on se dit. On en a plein les yeux, et plein les jambes aussi, malgré l'hégémonie de la position assise qui aura régné sans partage sur nos journées. On descend les sacs et on attache tout bien en place: la tente, les tapis de sols, les poches extérieures bourrées à bloc, les housses de protection couvre-tout bien en place pour (comment dire?) protéger tout. On rend les draps aux dames; on prépare le chariot et les sacs "à main"; on s'habille et on se couvre, parce que dehors aussi: ça se couvre. Bin tiens, y'avait longtemps!
à force de fêter ça, certains vont réussir à rater le terminus! |
km 9225: on repart après le court arrêt à la dernière gare, Угольная (cette fois on traduit pas, tant pis pour ceux qu'on pas fait leurs devoirs: pourrez pas dire qu'on ne vous avait pas prévenus...). C'est très émouvant de penser qu'on arrive au terminus. Le train se traîne sur les cent derniers kilomètres, comme pour nous donner l'occasion de lire chaque petit panneau: 9237, 9244, 9256... Le bout du monde n'est plus très loin. Vladivostok! Chaque fois qu'on le prononce, le nom résonne et s'articule comme un long éternuement. On le répète jusqu'à la nausée. On est tout excités, assez intimidés et un peu fébriles: on arrive. Tout ce qui nous a conduits jusqu'ici finit là, et là commence la suite de tout le reste... Toutes nos circonstances, tout ce qu'on fuyait ou dont on voulait se défaire, tout ce qu'on avait décidé de déposer en (et sur le bord du) chemin, quelque part au bout du monde. Il va falloir jouer le jeu: s'en dépouiller et le laisser derrière nous. Vladivostok! Encore dix minutes, si le train est aussi ponctuel ici que partout ailleurs, tout au long de la ligne. Neuf mille trois cents kilomètres et il n'a pas une minute de retard ni d'avance. Jamais. Comment font-ils? Quel est leur secret? C'est l'âme russe? C'est le camarade Vladimir Iliytch qui guide les trains sur la voie socialiste de la ponctualité du peuple? Un petit pas pour la RZD, une leçon pour la RENFE et la SNCF!
km 9300: soudain, on reconnaît (quoiqu'en Russe, ) la phrase magique et rituelle: "Terminus, tout le monde descend! Veillez à ne rien laisser dans les voitures!". Le train s'arrête dans un dernier couinement de freins. On descend le couloir une dernière fois, on dit spasiva! aux dames une dernière fois et on pose le pied sur le quai du bout du monde. Vladivostok! En moins d'une minute, c'est reparti: on se prend sur le coin de la gueule LE seul, L'unique, LE vrai déluge de la fin du monde! On dit au revoir à M.-S. - dont la guesthouse est à deux pas et qui s'éloigne donc sous un parapluie - non sans s'être donné rendez-vous le lendemain pour visiter un peu. On quittera de toutes façons Vladivostok ensemble dans deux jours, mais ça, tout comme nos aventures ici, c'est une autre histoire (ou deux)... Pour l'heure, il pleut comme vache qui pisse et ça n'a pas l'air de vouloir s'arrêter. Notre hôtel réservé en ligne et à la hâte est accessible en bus: il y en a plusieurs qui le desservent en trente-cinq minutes environ. Tous passent devant la gare et on se met donc en devoir d'en trouver un et d'y monter, tout en essayant de ne pas se mouiller, ce qui est évidemment mission impossible dans les conditions actuelles. La rue est recouverte par un épais tapis de flotte tiède dans lequel nos chaussures disparaissent. Il est environ vingt et une heure et cette nuit sera longue... À bientôt!
le climat pacifique, clément - pour ne pas dire débonnaire - vous souhaite la bienvenue à |
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* À propos de la clef du mystère du mystérieux concert du non moins mystérieux homme en orange du train: on a réussi, au dernier moment et saisissant au vol notre dernière chance, à immortaliser sa performance éphémère et envoûtante: la voici donc, heureux lecteurs d'Un(t)raveling!
Variation improvisée sur un thème très étudié et mille fois joué. Cent-fois-sur-le-métier-remis-ouvrage, sans l'ombre d'un doute permis: le discours est fluide et clair, le vocabulaire précis, l'harmonie familière et l'exécution technique, impeccable. Chaque accent est juste, chaque note détachée: intention sans volonté, respiration, sincérité...
Un grand moment de musique vivante!
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20 francs le kilo
Notre section spéciale (hashtag 20 francs le kilo) pour tous les fans de comptes, les stressés du budget (serré) y ceux qui seraient piqués par la curiosité - ou par le virus - du voyage sans avion(s)... Ils trouveront donc ici et dans cet ordre: la vérité, toute la vérité et rien que la vérité (arrondie, sans virgules et avec parfois quelques oublis mineurs et fortuits, il est vrai). Mais dans les grande lignes, voilà ce que ça donne :
- Irkutsk-Vladivostok (en troisième classe du train 002 "Rossiya", billets achetés en ligne sur la page de Russian Railways). C'est un trajet de 72 heures (3 jours et 3 nuits) et 4100 km environ: 280 euros (pour 2 personnes).
- On a apporté notre nourriture (nouilles instantanées, purée lyophilisée, fruits secs...) et acheté quelques produits "frais" et du pain sur le quai aux arrêts. Comme on a célébré la fête de toutes les Marie en général et de M.-S. en particulier, on a aussi sauté sur ce prétexte pour aller visiter le wagon restaurant -kitsch à souhait, d'ailleurs- résultat: environ 16 euros de courses + 13 euros pour 2 plats du jour au wagon restaurant (blinis au caviar et salade-jambon-oeuf poché sur toast). À nouveau, un peu moins de 30 euros (qsp. 2 personnes et 3 jours).
Au total, ce sont environ 52 euros par personne et par jour, train+repas. Ramené à la distance, ça nous fait approximativement du 0,04 euros (3 cents) par km et par personne! Pour ceux qui pensent que "le Transsibérien" c'est un caprice pour backpackers de luxe... ;)
Au total, ce sont environ 52 euros par personne et par jour, train+repas. Ramené à la distance, ça nous fait approximativement du 0,04 euros (3 cents) par km et par personne! Pour ceux qui pensent que "le Transsibérien" c'est un caprice pour backpackers de luxe... ;)
et pour conclure la B.O.? lookin' out my backdoor, bien sûr! |
Je tempte ma chance, l'âge des deux poulets ne seraît-il pas 25 et 55?
ReplyDeleteBises! Três joli post!
à vue de nez, ça ressemble à quelque chose comme ça, bravo! pour la surprise, la livraison risque de prendre quelques mois, mais tu peux compter dessus!
Deletebises de nous 2