Saturday, November 12, 2016

Jusqu'au bout du Sud (1 de 8)


quais de gare, correspondances, terminus et trains à tête d'insecte-cyber!
Après presqu'un mois et demi passé, comme dans un rêve, au bord de la baie de Kumihama chez Atsushi-san et sa famille - et à peine remis des émotions de la névrite vestibulaire foudroyante de Futuna - on a finalement quitté le Kansai, non sans avoir fait une petite escapade le long de la péninsule de Kyotango et jusqu'à Amanohashidate (pour les curieux, ça se passe ici!). À grand renfort de trains et bus locaux, on a ensuite rejoint - juste à temps et un peu incrédules - une Kyoto pleine à craquer de touristes de tous poils et de toutes nationalités, venus en masse pour voir défiler l'extraordinaire et célébrissime Jidai Matsuri. Notre intention était de passer deux ou trois jours en ville, histoire de voir ou revoir quelques-uns de ses plus de mille temples, de se poser pour écrire des cartes postales et un ou deux articles de ce blog dont le retard s'aggravait. Hélàs, toutes les pensions, guesthouses, auberges et petits hôtels dans notre budget affichaient complet, comme les hôtes Helpx et Couchsurfing qu'on avait contactés en catastrophe 4 ou 5 jours à l'avance. Ce festival, l'un des plus courus de tout le Japon, attire des dizaines de milliers de touristes chaque année et la ville en est absolument saturée. Au-delà des difficultés pour trouver un hébergement, toutes gammes confondues, les transports publics sont blindés et la gare centrale ressemble à la Rambla ou à la rue Saint-Rome un samedi de fin de soldes! On a ainsi passé près de 40 minutes à faire le pied-de-grue, vers 10 heures du matin en descendant du train, pour finalement trouver, non sans s'attirer les regards haineux de familles moins opiniâtres ou moins organisées, un casier de consigne pour nos gros sacs...

télé à la carte et boisson énergétique TRÈS puissante: bienvenue au Love Hotel!
Mais avant de continuer - et puisqu'on parle ici de voyage vers l'inconnu - revenons une douzaine d'heures en arrière. La veille, après cette escapade romantique et sauvage tout autour de la péninsule de Kyotango, il nous avait fallu trouver un endroit où dormir. La nuit était tombée très vite et les abords de Fukuchiyama, ville moyenne où nous avait laissé le dernier train en provenance d'Amanohashidate, ne se prêtaient guère au camping sauvage. En tout cas, on n'avait eu ni le temps ni l'énergie de chercher un spot discret, convenable et facile d'accès. On se sentait fatigués et la perspective de tout déballer, monter le camp et cuisiner dans le noir ne nous enchantait pas. Il y avait une seule alternative et on n'a pas beaucoup douté avant de mettre le cap dessus: un Love Hotel repéré quelques jours auparavant sur Google, juste au cas où. On vous en a déjà parlé (on en a déjà usé et abusé, aussi) en Corée du Sud: si l'on fait abstraction du cadre kitsch-sordide - ou si au contraire on adore ça! - le Love Hotel est une option épatante d'hébergement bon marché et sans souci: plein de "services" inclus et plein d'autres "à la carte" si on veut ; des chambres au décor original ; une bouilloire, un micro-ondes et des trucs utiles en tout genre dans la chambre ; et personne pour vous emm... En bref, c'est le pied! Dans celui-ci, on a pu évidemment se doucher et préparer notre dîner, regarder n'importe quoi sur la télé grand écran, se faire des thés et des cafés instantanés au lait en poudre presque toute la nuit, ou mettre à sécher quelques fringues lavées sur place à la main. Les kleenex et les prophylactiques sont inclus. On a préféré ne toucher ni aux uns (question d'hygiène) ni aux autres (qualité douteuse), mais ils étaient on the house, tout comme les sachets de thé et les dosettes de café. On aurait aussi pu utiliser la borne d'arcade installée entre le porte-manteau et le micro-ondes ou faire du shopping triple-X sans quitter la chambre. On a choisi de passer notre tour, pour ne pas charger nos sacs de plus de souvenirs érot exotiques.

room service: borne d'arcade, kleenex, condoms, console d'ambiance lumière, clim, t.v., hi-fi et vending-machine TRÈS spécialisée (zoomez!).
Le lendemain, on a filé de bonne heure pour Kyoto et son bouillonnant bain de foule, laissant derrière nous le lit défait et le mini-bar intact. La journée est passée très vite entre le festival, un peu de shopping (cartes postales, magnets et autres souvenirs plats et légers), de lèche-vitrine et l'achat d'une tente digne de ce nom, la pluie étant l'une des marques de fabrique un(t)raveling et l'île-où-il-pleut-35-jours-par-mois*, l'une de nos destinations des semaines à venir. Le soir même, non sans avoir âprement bataillé et finalement dû opter pour de la classe "supérieure" au lieu de l'économique, on s'est installés à bord d'un "luxueux" bus de nuit à destination de Fukuoka, tout au nord de l'île de Kyushu, la plus au sud de ce pays-archipel.
l'indispensable roadbook de www.hyperdia.com pour voyager au Japon!
La nuit a été plutôt longue et presque blanche : halte à Osaka (lumière, montée-descente de passagers, raffut, coups de coude, gros sacs...) ; halte à Okayama (lumière, montée-descente de passagers, raffut, coups de coude, gros sacs...) ; halte à Hiroshima (lumière, montée-descente de passagers, raffut, coups de coude, gros sacs...), pause sur une aire d'autoroute au pied de l'imposant pont de Shimonoseki (lumière, tout le monde descend, toilettes et café) ; et finalement, arrivée à Fukuoka, gare centrale Hakata (terminus, tout le monde descend!) au petit matin. Pas très frais, on a pris un petit déjeuner frugal au premier Seven-Eleven qu'on a trouvé au hasard des couloirs de la gare: le classique café au lait à 150 yens et des briochettes un peu synthétiques, genre mousse isolante sucrée et pas dégueu (c'est encore le plus préoccupant) trempées dans le café. Passons... Puis on s'est mis en devoir de trier nos affaires afin d'en laisser un maximum dans un casier de consigne de la gare, avant de débuter notre grand marathon de trains jusqu'à Kagoshima, à l'extrême sud de Kuyshu. Notre idée était de descendre à Kagoshima d'une traite, puis de remonter petit à petit en explorant toute l'île à notre rythme. Du coup, on voulait voyager "léger", c'est à dire sans le trolley à provisions et avec un seul sac à dos par personne, mais avec le matériel de camping pour pouvoir être autonomes : randonner, camper, faire du stop, aller passer quelques jours sur l'île secrète du bout du monde et boucler la boucle ici, à Fukuoka, en y retrouvant Shimon-chan, ainsi que Nao-san et ses amis. On a vérifié que la durée maximale des casiers de consigne était de 3 jours, renouvelables autant de fois qu'on voulait. Mais ça ne nous avançait guère de revenir tous les 3 jours pour remettre des pièces dans une consigne automatique. On a aussi vérifé que passés les 3 jours, les affaires étaient retirées du casier et gardées dans un autre local pendant 1 mois, délai au-delà duquel elles étaient jetées. Si on revenait avant un mois - on s'est dit - on pourrait payer l'amende de retard (juste la somme des frais journaliers, en fait, sans majoration) et tout récupérer. Bien vu, non?**

"dans les transports en commun" chante Thomas F., "les hommes ont le pied marin" - ou la nausée, "les filles sont nerveuses" - ou endormies.
On a donc décidé de jouer cette carte et pour assurer le truc, on a laissé sur notre tas d'affaires bien tassé dans le casier une jolie note moitié en anglais, moitié en japonais, fort aimable et civilisée, qui disait quelque chose comme : "On revient vers le 25/11/2016, merci de garder nos affaires jusque là, on paiera les frais et on vous remercie d'avance! Merci, merci, merci!". On a estimé que ça ferait l'affaire et on est partis sans se retourner. De toutes façons, c'était ça ou on ratait le premier d'une longue série de trains! Parce qu'en effet, pour traverser toute l'île de Kyushu du nord au sud, sans prendre un Shinkansen ou un super bullet Nozomi, il faut se lever de bonne heure et avoir du temps devant soi. Si on veut en plus éviter les Limited Express, il faut aussi développer des trésors de patience et pouvoir s'abandonner à la contemplation - béate - du paysage. Et si l'on choisit, enfin, de privilégier les petits tortillards des compagnies privées locales, il faut aussi savoir lire et déchiffrer les kanjis comme un enfant de 5 ans environ - ce que Wallis, heureusement, faisait avec style et enthousiasme! Après environ deux heures sur la JR (Japan Railway), on est entrés sur les terres de l'Orange Railway, dont c'était justement l'anniversaire ce jour-là. On avait prévu de voyager le lendemain, on aurait pu voyager la veille, mais non. On était là le jour J et pour fêter ça, Orange était gratuit! Après nous avoir appris la bonne nouvelle et demandé d'où on venait, des bénévoles souriantes aux gilets chamarrés nous ont poussé en voiture en criant "Ooooh! Furan-go, Supain-go! Ooooh! Lucky lucky! Furan-go, Supain-go! Very lucky!"

l'Orient-Express de Kyushu: le célèbre Orange Railway ; le Futuna un peu à bout de train ; le personnel souriant et la (fameuse?) cloche!
Et c'est vrai qu'on en avait drôlement, de la chance: débarqués pour ainsi dire de notre Furance et de notre Esupagne natales, de pouvoir voyager gratuit tout le long de l'Orange Railway jusqu'à Kagoshima! Alors bien sûr, c'était gratuit, mais ça n'allait pas plus vite pour autant. Magnifique paysage par la fenêtre: une côte déchirée, des îles sur l'horizon, des rizières partout alentour, des volcans au loin et même quelques palmiers dans la lumière du soir. On a débarqué à la nuit tombée, au sud du Sud, un peu fatigués et la tête vague. On n'était pas très frais à vrai dire, mais très agréablement surpris par la chaleur moite et l'ambiance irréelle de la gare centrale et de ses environs immédiats: un centre commercial énorme envahi de hordes de... comment dire? Bon, bin on va vous montrer, ça sera plus simple:

Vite! Récupérez vos sacs avant que la consigne ne se transforme en citrouille!
de hordes de jeunes gens et jeunes filles déguisés en Blanche-neige, en zombies, en personnages anime ou en trucs difficilement reconnaissables pour des gaijins pas vraiment branchés cosplay (コスプレ, kosupurei) ni Comic-Con. Genre comme si c'était Carnaval ou Halloween, vous voyez? En fait, c'était très vraisemblabement Halloween, sauf que nous on n'avait pas vraiment conscience des dates et que ce type de choses, c'est toujours mieux quand ça vous tombe dessus par surprise. Pas de stress, pas de pression pour le costume, pas de risque d'être déguisé pareil que tout le monde, pas de problème pour ranger clefs et portefeuille dans un collant en latex argenté ou un pelage fuschia soyeux sans poche intérieure. De toutes façons, on était déjà doublement déguisés: une fois parce qu'on était gaijins dans une zone du Japon où ils n'y en a pas tant que ça, et deux fois parce que notre look de backpackers, outfit de brousse froissé et sac à dos de 20+ kilos, devait évoquer soit des super-héros, soit des sortes de survivants d'une dystopie post-apocalyptique à la MadMax... Bref, dans le cours de la même (très longue) journée-marathon (d'accord, il y a eu une nuit en autocar au milieu, mais ça ne compte pas vraiment), on est sortis d'un Love Hotel hypra-kitsch, on s'est plongés dans un défilé historique en costumes, on a écumé d'un bout à l'autre la ligne de chemin de fer de Kyushu et on est descendus du train pour se retrouver au milieu d'une fête d'Halloween assez spectaculaire. Sensation un peu irréelle d'être des extra-terrestres ou, au contraire, de s'être téléportés sur une autre planète... Incrédules, on a un peu traîné dans les allées du centre commercial, puis on est entrés dans un supermarché et comme c'était presque l'heure de la fermeture, on a fait le plein de sushi, sashimi et bento en super promo pour le dîner. On a mangé par là, sur un banc face à la grand-roue, dans la lumière des néons, en regardant passer cet autre défilé en costumes. Et on a commencé à sentir, pour la première fois, que Kyushu était différente du reste du Japon; de Onshu, de Tokyo et du Kansai en tout cas. Malgré l'effervescence, il y avait quelque chose d'informel, de détendu, de tranquille dans l'atmosphère, qu'on n'avait pas encore ressenti dans ce pays et sans doute pas non plus de façon aussi palpable depuis le début de ce non-voyage jusqu'au bout du monde et au-delà. "On dirait le Sud", a fredonné Futuna, tout en se sentant un peu ridicule. On s'est dit que notre bout du monde à nous, il n'était peut-être plus très loin; que peut-être on touchait au but. On s'est dit que c'était peut-être la fatigue tout simplement. Mais ça non plus, ça n'était pas pour nous déplaire...

Kagoshima by night, son centre commercial, sa grande roue et... le réceptionniste (noctambule et très stylé) de notre guesthouse!
En arrivant à l'auberge que Wallis avait repérée sur http://www.hatinosu.net***, le premier individu avec lequel on a eu une interaction, ça a été lui là, au-dessus, sur la photo de droite (effectivement, c'est un Ambystomatidae, un axolotl mexicain pour être précis). On s'est regardés en silence, façon Ishin-denshin et on s'est dit que décidément, Kyushu promettait d'être une expérience unique... Vingt minutes après, on était douchés et on dormait à poings fermés.


à bientôt pour la suite,
joyeux non-Halloween
et plein de bises!
W. & F.


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* À propos de l'île mystérieuse, secrête et oò il pleut 35 jours par mois: c'est pas qu'on fait monter le suspence exprès depuis un moment, c'est pas qu'on veut créer le buzz, c'est juste qu'on a super envie d'aller la découvrir et qu'on ne sait pas du tout à quoi s'attendre. Ce sera une surprise pour nous autant que pour vous et on ne peut donc en parler que de façon très vague pour l'instant... Un peu de patience!


** Au prix d'un délit d'initiés que seul les voyages dans le temps autorisent: on peut d'ores et déjà vous annoncer que Non! ce n'était pas si bien joué que ça et que l'histoire ne s'arrête pas là. Mais, chut! pour l'instant on joue le jeu et on fait comme si de rien n'était... Suivez l'aventure et à la fin, vous saurez tout!



*** hatinosou.net est une page extraordinaire qui recense une flopée de campings, hébergements, sites de bivouac autorisé, aires de camping sauvage et auberges très bon marché. Elle est malheureusement uniquement en japonais et assez peu intuitive (c'est un euphémisme!), mais nous a permis d'arriver là où la main de l'homme blanc n'avait encore jamais mis le pied et nous a valu quelques sueurs froides de première catégorie... À suivre!



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