Friday, November 18, 2016

jusqu'au bout du Sud (3 of 8)

Tigre, dragon et... Kumamon?

Ah! Kagoshima, la ville qui ne dort (presque) jamais...
Par un beau matin ensoleillé, on a mis nos sacs sur nos dos et, avec un soupir mêlé de soulagement et de nostalgie, on a quitté Kagoshima, sa pension 'Little Asia', son amicale et translucide mascotte à branchies externes et -surtout?- la Rock'n'Rola, maquillée comme une voiture volée, spontanée comme un discours de cérémonie des César et sapée comme une touriste US sur Las Ramblas un jeudi soir, après la "paëlla-flamenco typique" du Tablao cordobés et avant d'aller vomir son seau de sangría à la Ovella negra. Comme quelques jours auparavant, quoique dans l'autre sens, on a donc pris le premier train local de l'Orange Railway en partance, direction Kumamoto. La prévision météo était étonnament optimiste - comme s'il nous avait suffi d'investir (enfin) dans une vraie tente deux places, confortable, robuste et étanche, pour que le temps vire au beau fixe et n'en démorde plus! Alors justement qu'on envisageait de changer notre brandname (de morue?) pour un(rain)veling, nom de domaine disponible et jusqu'ici plus représentatif de notre réalité quotidienne! Bref, on est partis la fleur au fusil avec pour tout bagage* l'intention de le prendre calmement, de marcher et camper un peu en chemin, voire de disparaître deux ou trois jours dans le Kyushu profond. On comptait sur notre intuition et sur quelques pistes glanées sur hatinosu: l'une d'entre elles en particulier, qui paraissait solide: une aire de loisir au bord d'un lac, avec un temple Shinto et une zone de camping libre et gratuite, à quelques kilomètres de la petite gare d'U. On est descendus du train, on a marché une petite heure, on s'est un peu perdus, puis on est arrivés au bord du lac. Il y avait bien une aire de camping: libre, gratuite et... fermée depuis peu. Des scellés et des panneaux "camping interdit" avec une tente barrée en rouge sur tous les arbres - c'était bien dommage mais un peu too much pour faire genre qu'on n'avait pas vu/pas compris.

Résumé: profiter de l'effet lost in translation, à la rigueur, oui ; prendre ouvertement les locaux pour des cons, non.

On a marché encore un peu plus loin en explorant les environs. Le soir tombait. On faisait genre "on sifflote et on se promène, la la la". Avec nos sacs à dos é-nor-mes, on n'attirait pas du tout l'attention des joggeurs et des retraités qui faisaient le tour du lac après leur dîner. On a fini par trouver un coin très reculé, tout en haut d'une butte, au bout d'une longue série d'escaliers en terrasse façon truc à sacrifices de civilisation précolombienne. La vue sur le lac était belle et la nuit tombait tellement qu'elle était vraiment tout près du sol.

the Hanazono pond, as Google streetview made it forever still and frosted...
En reculant loin sous les arbres, on était absolument invisibles. Tente vite montée, soupe de miso et nouilles instantanées vite avalées, on s'est retirés et - aux innocents les mains pleines - on a dormi comme des rois, là-haut sur notre butte aux durs escaliers. Pour un peu, on aurait dit que les ailes du moulins nous protégeaient, si vous voyez ce qu'on veut dire... Le lendemain, on s'est levés super tôt, histoire d'éviter la foule des promeneurs, retraités et joggeurs. Il faisait un froid 'inattendu' (gloups!) et la brume condensée très bas sur le lac prenait merveilleusement la lumière du petit matin. On a même fait une ou deux photos assez réussies, mais pour une raison qu'on ignore, on n'est jamais arrivés à remettre la main dessus et on ne vous les montrera donc pas. N'insistez pas! C'est dingue, à la fin. Bon. Retour à la case gare d'U., train régional jusqu'à Kumamoto, recherche désespérée d'une consigne pour nos bagages, que l'on trouvera finalement à la gare routière. Ouf! Libérés d'un poids (au sens propre), on a respiré un grand coup et décidé de profiter de notre journée pour faire du tourisme sans contraintes. On n'avait qu'un impératif, prendre un bus pour le port vers 17 heures et de là, un ferry pour une petite traversée romantique vers... bin... l'autre côté. Mais on y reviendra en temps z-utile. Pour l'instant, Kumamoto! On a bien sûr eu toute la journée durant, non pas une mais des (dizaines de) pensées émues pour notre chère M.-S., fan d'ours en général et de Kumamon en particulier. C'est la mascotte locale et "il" (?) est absolument partout en ville!

décliné à toutes les sauces, à foison et jusqu'à la nausée - comme pour nous dire: "tu l'as vu mon Ku, mamón?" **

Le merchandising Kumamon est poussé à l'extrême et en ce qui nous concerne, ça a exercé un effet répulsif presque instantané: après quelques minutes, on était saturés. On tournait la tête dès qu'on le voyait, mais ça ne servait à rien: il était là, partout, de tous les côtés. On a bien essayé de le gommer mentalement de tous les endroits, objets et pancartes sur lesquels notre regard se posait, tellement on en avait marre de voir sa gueule de c mignonne petite truffe... En vain. Il était trop nombreux. Eh oui, M.-S., désolés de te faire de la peine: il est saoulant à force, le bestiau! Même pas possible d'aller aux toilettes sans qu'il te tende le papier Q. Et dans les Lawson, il te sert le café. Dans la rue, il t'aide à traverser et dans l'ascenseur, c'est lui qui te dit l'étage. On n'en pouvait plus. On aurait dit qu'il savait où on allait et nous y attendait! Partout, tout le temps... Tu pètes et Kumamon se bouche le nez. On courait dans les rues en trébuchant sur des Kumamon en carton-pâte. On nageait dans une piscine à balles mais les balles, c'était des lui. D'ailleurs, ça le faisait rire d'un rire angoissant, comme celui d'un clown. On était complètement à bout de nours. On s'arrachait nos t-shirts Kumamon en hurlant "Rola, sors de cet ours!" Une armée de lui nous p'ours'uivait dans les couloir du métro et le haut-parleur des pompiers braillait "Votez Kumamon!". Dans le ciel, un avion tractait une banderole "Kumamon is the new Rola". Car en vérité je vous le dis: Kumamon est à Kumamoto ce que Rola est à Kagoshima - un esprit malfaisant qui hante la ville et se nourrit de ses habitants. Pendant qu'on fuyait en se bouchant les oreilles, un moine télépathe répétait en boucle à l'intérieur de nos têtes "Il n'y a pas de chemin vers Kumamon: Kumamon est le chemin". L'ours voulait nous tuer et faire un cartable en peluche avec nos peaux!


Quand on s'est rendu compte qu'on devenait fous, on a sauté dans un bus direction les collines, histoire d'aller se recueillir à la grotte de Miyamoto Musashi. Et on a bien fait! Après 45 minutes de trajet, le bus nous a laissés en rase campagne au milieu des rizières, avec comme seule option le bus dans le sens du retour 3 heures plus tard. On s'est calmés d'un coup: paysage bucolique, silence de sieste sous le soleil et rien d'autre à faire que suivre la petite route qui montait en zigzagant vers le temple et la grotte du Zinédine Zidane du sabre. On raconte qu'il s'y est retiré à 59 ans, rangé des épées et des duels, pour y écrire son Traité des 5 roues. Un classique. "Si tu veux vaincre Kumamon, a notamment écrit Musashi vers 1640, tu dois devenir Kumamon. Et dégainer le premier, sinon, ça  aide".

"c'est un trou de verdure où chante une rivière, accrochant follement aux herbes des haillons d'argent, où le soleil de la monta..." si, non?

Alors bien sûr, la grotte est jolie. Même si, techniquement, c'est plutôt ce que les archéologues appelleraient un abri sous roche, mais on ne va pas échapper à la folie douce pour sombrer dans la pédanterie... Aux abords de la grotte, il y a toute une armée silencieuse et immobile de bouddhistes de pierre. Couverts de mousse et pour la plupart mutilés, marcher parmi eux*** procure à la fois une paix profonde et un léger malaise. Curieux contraste qui donne la chair de poule, on imagine la foule des vaincus des duels du maître, tous morts ou amputés et figés ici dans leur dernière grimace, mais enfin autorisés à se reposer. La mousse omniprésente et la fraîcheur du sous-bois évoquaient inévitablement le Dormeur du val: la même poétique macabre, mais au pluriel. Difficile de ne pas penser quelque chose comme "Bah, quelle connerie la guerre, au bout du compte. Non? T'es pas d'accord, Barbara, hein?"


On a cassé la croûte sous un arbre, regardant en silence les rizières verdoyer en terrasses au dos des collines. Et puis on a fait du stop pour passer le temps en attendant le bus. Un gars nous a pris (miracle!) et, trop heureux d'échanger quelques mots en anglais avec des gaijin, il a fait un bon détour dans le trafic dense du milieu d'après-midi pour nous déposer pile devant l'enceinte du célèbre chateau du Roi Kumam... tout court. Il nous a expliqué qu'un tremblement de terre venait de l'endommager sérieusement, mais que seules les parties restaurées ou reconstruites durant le XXème siècle avaient souffert. Tout, absolument tout ce qui était d'origine avait tenu bon. Ironie du sort, honte au progrès, critique acerbe de la modernité. Sa conclusion n'était que trop évidente: "Monde de merde, c'était mieux avant, les jeunes ont perdu le sens de l'effort". On connaissait le refrain, on sait désormais qu'il est universel.

les dommages soufferts par le chateau de Kumamoto, seulement sur les parties rénovées, faut le faire! et le ferry rococo-chic pour Shimabara.

En redescendant vers l'arrêt du bus qui nous conduirait vers la gare où nous attendaient nos bagages et la navette pour le port duquel partirait bientôt notre ferry (ouf!), on a assisté à un curieux spectacle qui attirait visiblement une foule compacte de badauds surexcités. Sous leurs applaudissements, des mascottes ridicules et débiles dansaient un truc vaguement régressif et vulgaire sur un fond de musique abrutissante. Un type hurlait dans un micro comme un hystérique. Après quelques minutes d'observation mi-amusée, mi-incrédule, on en a conclu que c'était un débat des candidats à la succession de Kumamon. Une campagne électorale de mascottes kawaï! Bon sang mais c'est bien sûr. Il ne nous manquait plus que ça. Et il était vraiment temps qu'on se casse... Donc pour faire vite: le bus, la gare centrale, la consigne, les sacs, l'autre bus, le port, le ferry, les billets, l'embarcadère et le décor chic-kitsch à bord.

tomber de Charybde en Scylla à la japonaise, ou 'le cauchemar n'en finit plus': débat de campagne électorale et kitsch pavillonnaire.

Le jour descendait comme on traversait l'étroit bras de mer nous séparant de la péninsule de Nagasaki. En débarquant à Shimabara au crépuscule, on pensait que tout était fini, que ça n'avait été qu'un cauchem'ours, une hallucination kumamollective. On avait déjà vécu ça 2 ans auparavant, alors qu'on TRANSITait entre Bourgogne et Belgique, ces univers parallèles où les freaks ont pris le pouvoir... Mais ce coup-ci, c'était différent! Rassurés et confiants en l'avenir, on respirait déjà un air pur et vivifiant. Puis en cherchant l'arrêt de notre bus, le dernier de la journée, on a tourné le coin du terminal des ferries pour découvrir des décos de Noël installées à l'année dans la plus pure tradition du beauf' de lotissement. Et on a commencé à flipper. Heureusement, le bus est arrivé. On était pratiquement seuls à bord, fatigués par la journée, engourdis par un froid croissant et perdus dans l'obscurité. Après une bonne heure de montée en lacets dans la montagne, le bus nous a déposés à notre destination: Unzen, bouche béante de l'enfer, nous soufflait à la gueule son haleine tout en vapeurs soufrées. Il faisait nuit, il faisait 6 ºC, on était crevés, on ne savait pas où aller planter la tente et en face de nous, de l'autre côté de la route, il y avait ça:

bienvenue à Unzen, terminus de la ligne et fin du monde...


- À suivre -

 
___________________________



* Avec pour tout bagage: oui,bon, c'est une façon de parler: on avait toujours nos sacs ridiculement lourds et chargés d'un peu de nourriture et de tout le nécessaire pour affronter une ou deux nuits dans la nature. On avait aussi, faut-il le préciser, nos dégaines de touristes à peine moins pittoresques pour les locaux que leur pays ne l'était pour nous.


** À propos de ces images de Kumamon: nous ne détenons absolument PAS les droits, pour aucune de ces photos. Et même si ce blog ne nous rapporte pas un centime et que nous n'ayons aucunement l'intention de tirer profit de ces images, nous prions les détenteurs des droits de propriété intellectuelle de nous faire savoir s'ils souhaitent que nous les retirions de cette page. Voilà, c'est dit!




*** À propos de cette anacoluthe: nous déclinons toute responsabilité des possibles malentendus qui pourraient en découler...

No comments :

Post a Comment