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Friday, March 17, 2017

l'arbre qui (ne) cachait (pas) la forêt

Comme (presque) chaque hiver depuis (presque) dix ans, le pays basque français (aka Euskal Herria, Hiparralde ou basse Navarre: appelez-le comme vous voudrez) nous accueille pour un mois ou deux, le temps d'y faire du travail saisonnier et vétérinaire - à moins que ce ne soit plutôt le contraire.

brebis Manech "têtes noires" et "têtes rousses" au pré et au soleil du pays Quint.
Si l'on y revient encore et toujours, c'est sans doute moins pour le travail en lui-même* que pour son cadre magnifique : vert et minéral, domestique et sauvage, désert et habité, intense et bienveillant, etc. (les qualificatifs manquent souvent, les contrastes, jamais : jugez plutôt). C'est donc peu à peu devenu une habitude et, sans qu'on s'en rende compte, ce vrai petit val qui mousse de moutons, ce trou de verdure où chantent plusieurs Nive (allez, quand d'autres rendent montres et costumes, rendons à Arthur ce qui est à Arthur) a pris une place de choix parmi nos #backyard views: ces non-maisons, résidences temporaires, haltes nomades et autres "et toujours l'on revient, à ces lieux du passé, où l'on aimait la vie"** qui nous ont ouvert leur porte et pas que, pour une nuit ou pour plusieurs années. Car l'incroyable richesse et la variété des "vues de ma fenêtre" offertes par nos maisons sur roues (successivement le TRANSITion! et le 2c15), différentes chaque matin, ne sauraient éclipser celle d'ici, du premier étage du cabinet vétérinaire. Toujours la même et pourtant, elle aussi, toujours différente. Au prix d'une prétérition, on vous épargne le proverbe bouddhiste du bain dans la même rivière et de l'eau nénamoins toujours renouvelée. Et pourtant Ford sait que ça viendrait à point et tomberait à pic. Ça, c'est fait. Reste encore à caler une prosopopée ou un hypallage quelque part et on aura le quota pour aujourd'hui.

star indiscutable de nos séjours hivernaux ici: l'arbre par la fenêtre, qui est aussi au deumeurant par-dessus le toit (si bleu, si calme?)
Bien. Ce post ne prétend pas faire l'éloge de la routine - quoique - ni du bonheur d'ouvrir la fenêtre chaque matin pour découvrir le même paysage, mais bien rendre hommage à celui-ci en particulier: pousser le volet, regarder le ciel (rendons à Saint John ce qui est Saint John), lever les yeux de l'écran et embrasser du regard la ligne des crêtes pelées d'Iparla ou des sommets boisés d'Iraty. En un mot, ce paysage en particulier avec ses circonstances, ses fermes accrochées à flanc de colline et... son arbre désormais presqu'aussi légendaire que celui du Ténéré. Tout comme la vue de la fenêtre, les journées ici - et c'est finalement rassurant - se suivent et se ressemblent toujours un peu. On se lève avec le soleil, on roule, on monte par là, on fait la tournée, on court après la montre, on casse la croûte, on recommence à tourner et à courir après la montre, puis à la fin on redescend pour recommencer le lendemain. Vu de plus près, ça donne ça:
lever de soleil sur le Béhorléguy, qui dépasse un tas de fumier à la Schopenhauer.
On se gare dans la cour d'une ferme, on serre des mains, on parle du temps, du monde qui marche sur la tête et de la même chose que chez le voisin : le prix de l'agneau qui dégringole, le prix de l'aliment qui s'envole, le poids ahurissant des contrôles et des paperasses, la pression et les contraintes qui pèsent sur les éleveurs, chaque année un peu plus lourdes, le peu de jeunes qui s'installent, le futur incertain et le ras-le-bol croissant...

" - Bon, allez. C'est pas tout ça, mais va falloir s'y mettre, hein!" À partir de là, deux options possibles, qui ne changent pas beaucoup le déroulement du machin:

a) " - Comment vous voulez faire, docteur? Il faut vous les tenir? Ah? Bon bon... Oui, d'accord. Je les attache, alors? Oui? Vous êtes sûr? Non non, docteur, c'est comme vous voulez, hein."

b) " -Tu es stagiaire ou tu as fini les études? Tu vas les faire comme ça même, hein? Ah non? Il faut te les attacher? Pourtant d'habitude... Bon, d'accord, c'est comme tu veux, hein."

Dans les deux cas, ils finissent par les attacher de plus ou moins bon coeur et on peut faire le boulot. La question se résume finalement au temps que ça va prendre. Puis on fait signer des papiers (chaque année un peu plus), on se passe un coup de jet sur les bottes et sur les mains, on serre des mains ou le poignet qu'on nous tend puisqu'on vient de se laver les mains, et on part vers la ferme suivante. On évite un chien débile qui se jette sur/sous les roues du 2c15 pour les mordre, et de temps en temps, par nostalgie de l'époque où on découvrait encore la région, on se perd un peu histoire de dire, d'explorer ce chemin mal carrossé ou de pouvoir demander à cette vieille qui bine ses poireaux au soleil où est la maison Truc-etchea ou le GAEC Machin-berria... Le train-train, en définitive.

heureux, espatifflés au soleil et à l'abri du vent à l'heure de la sieste - "pas un seul bruit d'insecte ou d'abeille en maraude..."***
Quand midi sonne (ou midi et demie, ou une heure, ça dépend des jours, des tournées et de la bonne volonté des éleveurs), on s'arrête pour manger un morceau. S'il fait moche et froid, ou si un délégué local nommé par le GDS a pris sa journée pour accompagner la tournée, on va au resto manger un menu ouvrier. Pour 12 ou 13 euros, c'est l'indigestion assurée: garbure au talon de jambon, hors-d'oeuvre, crudités et/ou charcuterie, viande et garniture, fromage de brebis et dessert gâteau basque. Le tout servi généreusement à la mode grand-mère ("vous n'allez pas me laisser ça!"), avec souvent de l'oeuf, du lard, de la friture, de la sauce au beurre et - bien sûr - le gros rouge et le café compris. Même avec des années d'entraînement, c'est toujours difficile de repartir avec tout ça dans le bide. Et pas question de demander "juste un plat du jour en direct" ou "une petite salade verte sur le pouce". Déjà que refuser le pastis pour l'apéro, c'est limite un affront, imaginez le tableau si on demandait poliment des légumes verts bouillis.

comme les porcs basques: trouver un bon spot au soleil et à l'abri du vent est tout un art, qui demande patience, expérience et intuition!
Heureusement, s'il fait soleil et/ou quand la saison est un peu plus avancée, on a l'habitude d'emporter une baguette, du pain, du fromage et des fruits, pour casser la croûte dans ou à côté de la voiture, quelque part avec un peu de vue et pas de vis-à-vis. La sieste de l'après casse-croûte est alors un des petits plaisirs les plus merveilleux qui soient. On se chauffe la couenne au soleil, à l'air libre ou derrière le pare-brise, on rêve éveillé et on déconnecte un moment. Ce qui nous conduit à la principale raison pour laquelle on revient encore et toujours (d'accord, la deuxième principale raison, la première étant que c'est un travail rémunéré et que si c'était bénévole, on irait sans doute se promener sans passer la journée les pieds et les mains dans la m---e, au c-l des mignonnes brebis et des gentilles va-vaches): pour le cadre exceptionnel de ce bureau à ciel ouvert. On regarde par la fenêtre, on s'emplit de paysage, on se gave de vert et on respire profondément ce coin de paradis pyrénéen qui ne ressemble à aucun autre. Jugez encore et plutôt:

quelques-unes de nos aires de pique-nique sauvage, jamais très loin de la civilisation, toujours uniques, suspendues entre le vert et le bleu.
Et ce n'est pas du snobisme ni du 64-isme version Euskal herria, hein. Ossau, Aspe et Barétous sont fascinants, les Pyrénées centrales (dites "hautes") grandioses, le Luchonnais magnifique, l'Aragon majestueux, la Catalogne a ses Encantats, l'Ariège ses trésors de caillou, de vert et d'eau. Les Pyrénées sont belles jusqu'au Cap de Creus, où elles se jettent nues dans la Méditerranée - ce n'est pas nous qui vous dirons le contraire. On essaye d'ailleurs de leur rendre hommage aussi souvent que possible dans ces colonnes. Mais ça n'enlève rien au charme unique de la basse Navarre. Aaaah, la basse Navarre: ses villages typiques, ses brebis folkloriques, ses bergers rustiques, ses prairies buccoliques... sa faune endémique! Parmi les résidents habituels du cru, le vautour fauve est un modèle d'intégration: au paysage, à la chaîne alimentaire et au modus vivendi local. Nettoyeur à haute pression, moins cher et plus durable que l'équarrissage, véritable cul-de-sac épidémiologique pour plein de germes pathogènes, c'est également - malgré le déni forcené et coupable des autorités comme des ayatollahs de la LPO - un prédateur occasionnel dont la prolifération met en danger les jeunes et nouveaux-nés au pré, sans parler des bergers et randonneurs imprudents. Énormes, gras et pas impressionnables pour deux sous, les vautours vivent à l'aise au contact des humains et de leurs troupeaux. Certains finissent même confortablement assis dans des bureaux de banques ou d'administrations!

ô Gyps, suspends ton vol, et vous, heures propices, suspendez votre cours: laissez-nous savourer les délices, des plus beaux de nos jours!
Une fois terminée cette pause délicieuse, ce(tte) (t)rêve éveillé(e) ou pas, cette bulle d'autre monde, il faut y retourner. Enfiler à nouveau les bottes crottées et à nouveau zipper la combinaison, pour mieux redescendre à la terre, à ses petits tracas et ses mondaines préoccupations. Dans la bonne humeur et contre la montre, comme tout au long de la matinée, faire de la mauvaise volonté des uns et de l'esprit de contradiction des autres un entraînement de guerrier zen. Il n'y a rien au bout de la patience: au bout de la patience, il y a plus de patience. La pile des DAP (document d'accompagnement de prélèvements) diminue lentement. Mais centrer son attention sur le résultat ne mène nulle part. Seul existe le moment présent. Oooom! Enfin, bon, ça c'est la théorie... "Milesker! Adio!" Le chien, la voiture, les pneus... Jusqu'à ce que tout à coup, l'accordéon expire, le dernier DAP soit signé et les derniers vacutainers soient dans un sac en plastique fermé, dans le coffre de la voiture: mission accomplie, retour à la base. Paperasse, lessive, douche. À un moment ou à un autre, le soleil se couchera derrière les crêtes d'Iparla, il y aura de l'ardi gasna pour accompagner la soupe au dîner, et sans doute un verre de rouge. Et demain, alors? Bah, on recommencera.

de retour à la base: coucher de soleil depuis la terrasse, ardi gasna fermier pour le dessert et calme humide de la nuit (et un hypallage, un!)


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on l'a déjà évoqué (plus d'une fois!) dans ces colonnes et en cliquant sur les mots-clefs "vétos, vaches, brebis, bétail et/ou Iparralde" dans le minibus/nuage de mots de la colonne de droite, vous devriez trouver quelques posts pour une petite mise en bouche, ou mise à jour rapide.

** traduction approximative et immédiate de la canción de las simples cosas, bien sûr: autre référence récurrente et autre milestone d'Un(t)raveling, dont on ne se lasse pas, qu'elle soit chantée par Chavela Vargas, Mercedes Sosa ou, comme ici, par Concha Buika.

*** extrait de La sieste de José María de Heredia (1842-1905). cherchez-le, lisez-le, piquez un somme...


Thursday, February 23, 2017

CONtes de la FOLiENS ordinaire

et autres histoires.

À titre emprunté, on ne devrait pas trop regarder les dents. Et encore moins lui tripoter les syllabes. On le rendra donc à qui de droit, en même temps qu'un hommage de circonstance - sobre et subtil. Voilà, ça devrait faire l'affaire...

Antiquités Brocante, mais pas seulement: Pension de famille dans son jus, aussi!
Tout ça parce qu'on n'avait nulle part où ranger une vieille édition de poche jaunie qui traînait depuis longtemps et que faute d'autre chose à se mettre sous la dent, Futuna avait décidé de le lire. Et puisqu'il y était, de jouer un peu avec. Pourtant, le décor était plus buccolique que Bukowski. Pourtant, il évoquait davantage une idylle dans un motel à la Wong Kar Wai que la vie dans un bordel au Texas. Mais c'est l'occasion qui fait le larron, non? Et retourner à la case départ a ceci de bon qu'on recommence, réinvente, refait et reconstruit. Mais aussi qu'on fait des trucs qu'on n'avait pas ou n'aurait pas fait "en temps normal".

C'est quoi un temps normal, d'abord?

Bien. On venait de rentrer de notre non-voyage au bout du monde. Et comme au bon vieux temps, on n'avait plus vraiment de chez nous, sauf un petit lit sur 4 petites roues. Wallis avait donc cherché du travail saisonnier de vétérinaire sanitaire pour les premiers mois de l'année. N'importe où, ou presque. Elle en avait même trouvé, qu'elle avait accepté. Elle avait fait tout ça depuis le Japon. Ouais. Sur internet, avec un entretien par Skype. Elle est comme ça, Wallis. Rien ne lui résiste. Cause she's cool, you know? L'affaire se passait pas très loin d'Oradour-sur-Glane (ceci explique cela), au beau milieu de nulle part la Charente limousine. Futuna, quant à lui, comptait retourner au Pays Basque comme tous les ans et attendait pour ça que le téléphone sonne. Eh oui! Futuna est adorable bien qu'un tantinet moins proactif. Faut dire qu'il avait déjà des traductions/révisions pour occuper tout son mois de janvier.

tout y est: la vierge, le kitsch postal et le mobilier "vintage" (pour ne pas dire désespérément ringard), les portraits de famille et l'ivoi'art...
"Bah", il s'était dit. "Quite à passer mes journées le cul sur une chaise et le nez collé à un écran, autant que ce soit auprès de ma blonde!". Pas proactif, le mec, mais romantique: autant qu'on veut. Et puis cet ordinateur, il fallait bien le poser sur un bureau et avoir une chaise à y poser devant... Il avait donc suivi le mouvement, chargé sa couenne et son sac à dos dans le 2c15 et avait remonté la N20 avec elle jusqu'à Brive-la-Gaillarde. Là, ils avaient tourné à gauche, puis enfilé comme autant de perles à un collier des départementales z-à  leurs roues. Ils s'étaient garés devant un vieux chapiteau bouffé de mousse (un dancing depuis longtemps déserté), pour s'installer sur les conseils de leurs vétos-et-patrons dans une pension que l'on aurait pu (en espérant ne blesser personne) qualifier de miteuse.

quelqu'un a dit "un motel à la Wong Kar Wai"? Mais... c'est l'hôtel de Shining!
Jugez plutôt: l'enseigne qui donne le ton sur la façade, le bric-à-brocante poussiéreux au rez-de-chaussée, l'odeur de moisi dans l'escalier, la moquette élimée le long du couloir et la salle de bains sur le palier. Pour rendre à César, il faudrait aussi signaler les pensionnaires alcolos qui éclusent et fument du soir au petit matin, toutes fenêtres fermées dans la cuisine commune. Qui semblent sortis de la monographie Wikipedia sur la cirrhose. Qui mieux que personne, plantent le décor alla Bukowski. Et qui, en allant se coucher, titubent dans le couloir et grattent à notre porte en miaulant et en chantant "Ay, quiero hacerte el amor esta noche"... Bon, comme nous a dit la taulière quand on est allés se plaindre "c'est plutôt flatteur!", comme s'ils désignaient la plus jolie fille de la ville. Non madame, c'est pas flatteur, c'est juste relou, en fait. Vous nous direz, ça ou des jumelles mortes en robe à fleurs et un petit garçon avec un tricycle, c'est vrai qu'on ne perdait pas au change (pardi!).

Sinon bah, le coin était joli et Bukowlique ; on était au bord de la Vienne, pas les pieds dans l'eau mais presque ; on se sentait bien dans la campagne charentaise (disons qu'elle nous allait comme une pantoufle un gant, ha ha!) ; on explorait ce qu'on pouvait pendant et après le travail. C'était plutôt plat, mais toujours pittoresque. Il y avait des chateaux en ruines sur des buttes en marnes, du bocage pas normand avec du bétail paîssant, des sentiers escarpés et même, des dérivations pour  personnes moins agiles! Si, si: le grand mariage zen de l'authentique et du trou-du-cul du monde à 4 heures de Paname... En lieu et place de la chatte blanche, on avait un chat gris un peu con qui passait son temps à gratter à la fenêtre des toilettes pour entrer, traverser la chambre et aller gratter à la porte pour sortir dans le couloir. On est même tombés tout à fait par hasard sur un bled avec le même nom qu'un ancien président de la République, dont la stratégie pour nous arracher un second mandat faisait encore recette. En cette période pré-électorale, on vérifiait que - décidément - la politique est l'art d'enculer les mouches et de refaire du neuf avec du vieux: "Ça marche, ça marche! Ils te suivent, n'arrête pas de souffler dans ton pipeau!". Fin de la parenthèse.

sans intention ni message cachés: trois femmes, trois poulets, douze singes volants qui ne sont jamais arrivés à baiser et pas de chaussettes!

La routine s'était installée assez vite et c'était rassurant: après le p'tit déj, Wallis partait vers 8h et Futuna se mettait au travail (après avoir traîné un peu au lit en lisant le journal ou ce vieux recueil de nouvelles jauni par les années) jusqu'à l'heure de préparer le repas de midi. Cons comme le Christ, nos alcoolos de service fumaient dans la cuisine, tapaient dans nos réserves et chuchottaient avec des airs de conspirateurs dès qu'on était dans les parages. Wallis passait manger à un moment variable entre 12h et 13h30, prenait un café puis repartait. Rebelote l'après-midi. Traductions/révisions, éventuellement les courses puis c'était le soir. Le mois de janvier était passé très vite, un peu comme un rêve. Et puis un jour, un peu comme après un rêve, le réveil avait sonné. Enfin, pas exactement: c'est le téléphone qui avait sonné. C'était le pays basque / il fallait y aller / c'était urgent. Le zoo libéré, des brebis partout, vite! Tu peux être là hier? Il fallait aussi déménager des affaires en Ariège au passage. Soudain, il y avait des traductions dans la pile d'attente... Bref, en l'espace de 48 heures, c'était le stress, il fallait se séparer, tout plaquer, courir et tel le petit ramoneur - vaillant et enthousiaste - il fallait retourner au charbon et au pas de course, siou plaît!

après Kramer contre Kramer, Panoramique contre Panoramique ou "comment troquer un cauchemar orange  pour un horizon bleu".

On pourrait presque dire qu'une fois là-bas, dans le plus petit coin de Navarre, tout n'était que luxe, calme et volupté. Mais ce serait mentir: prophylaxie sanitaire la journée, traductions la nuit et un projet secret dont vous entendrez peut-être parler dans quelques mois si tout va bien (et non: ce n'est pas ce que vous imaginez!). Ajoutez à ça qu'au détour d'une visite sanitaire, j'ai vécu avec l'ennemi public nº1, alias Hugues Aufray et vous aurez presque la teneur des carnets d'un suicidé en puissance! J'exagère, c'était bien quand même. Voilà, cette fois je crois que je les ai tous glissés dans ce post, je vais donc pouvoir conclure... Excusez-moi une seconde, c'est mon téléphone. Voyons:

- Allô? Oui, c'est moi. Quoi? Euh, pardon, comment?
- ...
- On en a oublié un?
- ...
- Il faut que je leur raconte aussi quand nous sommes allés au festival de la Bédé d'Angoulême
retrouver notre cher A. et ses potes? Et où nous avons eu des discussions très animées, en particulier
le jour où nous avons parlé de James Thurber?
- ...
- D'accord! Merci beaucoup en tout cas! Oui, c'est ça. Au revoir!


et à la demande générale: le jour où nous avons péché des cace-dédis.


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Wednesday, September 23, 2015

"l'Ariège, ça monte, ça descend et ça n'est jamais plat"


C'est dit: pourrez pas dire qu'on vous a pas prévenus!
Le slogan n'est pas de nous, mais on se l'approprie bien volontiers: c'est pour la bonne cause et ça fera de la pub' au Conseil Général et à l'Office de tourisme du coin (qui en ont sacrément besoin diront certains)! Bon. Derrière cette lapalissade en apparence tout à fait innocente se cache une réalité complexe, polymorphe, protéiforme, à étages, voire - n'ayons pas peur des mots: les mots sont là pour nous aider ; ils nous aident à communiquer, à nous comprendre, mais peut-être plus encore, à surmonter cette terreur que provoque en nous l'immense chaos de l'univers hostile et changeant qui nous entoure et dont nous sommes pourtant (souvent sans en être pleinement conscients, il est vrai), partie intégrante. "Tu es une expression unique de l'Univers dans sa totalité, de la même façon qu'une Vague est une expression unique de l'Océan tout entier" disait Alan Watts, et Ford! s'il avait raison... mais je m'égare et perds le fil dès les premières lignes! Ce post fleure déjà la digression à plein nez, ça promet d'être difficile... Décidément, ce nouvel antalgique (indiqué dans les douleurs neurogènes et prescrit pour cette épaule qui ne se décide pas à guérir) n'est pas seulement efficace, il est aussi diablement psychotrope. Mais revenons à nos moutons... - matriochkale...

- À vos souhaits!
- Pardon: vérification faite, il semblerait que l'on dise, en français et dans le texte, "gigogne".

Piège à Toulousains entre chien et loup ; même en Ariège: "eau qui descend ne remonte pas" ; notre monnaie locale. 
Bien. En Ariège, tout monte et tout descend, tout n'est donc jamais plat. Ou "rien" n'est donc jamais plat? Enfin... Les Toulousains qui vont en Andorre acheter des clopes et du Ricard, par exemple, et bien: ils montent le dimanche matin puis descendent le dimanche après-midi. Et les Toulousains qui vont skier à Ax-Bonascre en hiver, ils font pareil (et qu'est ce qu'ils nous font skier, soit dit en passant...). Et le TER-98910 en provenance de Toulouse et à destination de Latour-de-Carol va entrer en gare: lui aussi monte et descend. Voilà, on va s'arrêter là pour les exemples. Ce qui descend mais ne remonte jamais en Ariège, en revanche, c'est le cours de l'eau. Enfin, de l'Ariège, quoi. Ou du Vicdessos. Ou de la Courbière, comme le prouve le mignon cliché ci-dessus d'une ravissante cascade. Et ce qui descend mais ne remonte guère, c'est le cours de l'Euro, en chute libre depuis que le pyrène lui dame la pièce. Euh, le pion. Une monnaie locale, oui madame, parfaitement! On a une monnaie locale, même qu'elle vaut cher: 1 pyrène = 1 euro, comme ça c'est moins compliqué à convertir et s'il avait fallu l'indexer sur la réalité économique locale, on aurait eu besoin de brouettes de billets pour aller au marché... Et puis pour rendre la monnaie, du coup, c'est avec les centimes d'euro, hein. Parce que pour photocopier des pièces et les découper en rond, je vous raconte pas l'affaire. Voilà, vous savez tout sur le pyrène, la monnaie utile en papier recyclé! En tout cas, ça fait toujours ça de moins dans la tirelire des railleurs qui se moquent de nous, et Ford sait qu'il y en a. Voyez plutôt:


Très bien, ça, c'est fait. Il va peut-être falloir entrer dans le vif du sujet, maintenant... Parce que toute cette histoire de monter et de descendre, c'était surtout pour illustrer la visite de nos chers U. & L. le week-end dernier. Visite qu' (on espère) ils vous raconteront eux-mêmes et avec leurs propres mots - ce qui pourrait être particulièrement exotique! Plus d'un Ariégeois s'en réjouira. On les embrasse donc chaleureusement à leur descente du train bondé, on les gave donc de canard gras, de fromages d'ici et d'ailleurs (du Cantal, notamment) et de vins pas d'ici mais d'un ailleurs plutôt pas trop lointain (Madiran, Fronton, Corbières, Faugères: le tour du Midi, quoi..). On trouve (au détour d'une ruelle) un vide-grenier où les faire saliver devant des bibelots du cru, des vieilleries rurales et des trésors poussiéreux;  entre lesquels se démarquent quelques vélocipèdes vintage à faire pâlir de jalousie toute la communauté de hipsters-barbus-tatoués-piercés-en-chemise-de-bûcherons-cyclistes-branchés-de-Poblenou-ou-de-Gracia. On joue à aller cueillir nous-mêmes nos légumes qu'on a fait pousser nous-mêmes pour les manger nous-mêmes après les avoir cuisinés... nous-mêmes!
L'effet toujours euphorisant du pilotage de 2c15 sur départementale!
Et pour expier un peu tout ça, tous ces plaisirs criminels et autres péchés véniels, pan! On les sort en rando. Un peu. Pour dire. Les Trois Seigneurs par l'Étang d'Arbu: une classique bien connue des régionaux de l'étape et des Toulousains des dimanches. Pas trop long, pas trop dur. En revanche, ils ne s'y attendent pas du tout, font les surpris "Ah bon? Marcher dans la montagne? Diantre! Quelle idée originale!"
Originale??? Ici, si on n'est pas rugbyman ou chasseur, il n'y a plus qu'à être randonneur, c'est une question d'identité. Et de survie. Passons... On monte donc tranquillement - en 2c15, c'est la règle - et pas trop tôt quand même, jusqu'à Vicdessos. De là, direction le Port de Lers, pour se garer finalement juste avant de l'atteindre, dans les derniers virages, à côté de quelques autres voitures puis de se mettre, rapidement, en marche.
"Il suffit de passer le pont - chante l'autre moustachu (un peu père vert il faut le reconnaître) avec sa guitare - et c'est tout de suite l'aventure". En effet, le pont franchi, les choses changent et si ce n'est pas tout de suite l'aventure, c'est tout de suite une montée fort raide en plein soleil vers un petit groupe de brebis qui nous regardent et gardent farouchement l'accès à un orry aussi typique qu'il est bien conservé. Mêêeeh! Émerveillement de rigueur: on s'extasie devant ce savoir-faire millénaire, on boit de l'eau, on joue avec une bébête au bout d'une brindille. C'est beau la nature en fête. Et le chevelu avec sa guitare de revenir à la charge: "Laisse-moi tenir ton jupon, je t'emmène visiter la nature"! On fait dans l'allusion élégante et tout en finesse, hein? Bon, jusque là, nos visiteurs sont contents; ils se sont à peine plaints durant le premier raidillon, ils ont des Pyrénées plein les mirettes et le cœur léger. Quand soudain, c'est le drame: Futuna commet une erreur de débutant. À la question "c'est encore loin (grand schtroumpf)?", il répond en toute bonne foi "juste derrière cette colline, on y sera dans un petit quart d'heure". Patatras! Comme toujours, derrière la petite colline, il y a une autre petite colline, ou une barre rocheuse, ou un ressaut au fond de la jasse, ou n'importe quoi qui finit par révéler l'absence du lac, encore caché un peu plus loin derrière. Pire encore: un peu plus haut!

"il suffit de passer le pont et c'est tout de suite... ; l'herbe douce à Pâques (a poussé sur l'orry) ; je t'emmène visiter la nature!"
Il s'en faut de peu qu'un drame éclate. La révolte gronde. Les matelots, tendus, murmurent et ruminent quelque sombre plan. La faim et la fatigue tenaillent les troupes. On craint une mutinerie. Déjà, les albatros et les vautours dessinent, là-haut, de grands cercles sur nos têtes... Heureusement, bientôt, quelqu'un crie "Teeeeerre!" Euh non, quelqu'un crie "Laaaaaaaac!" À nos pieds, l'étang d'Arbu. Voilà. L'étang s'étend. Les temps aussi. Comme disait l'autre, qui voulait citer untel "Au lac, suspends ton vol, et vous Eures et Loires..." etc. C'tait l'bon temps! On s'embrasse, on s'étreint, on s'assied, on s'affale. Puis on s'étend. L'ambiance se détend. On chasse des taons. On trinque "à l'étang!" Une fois l'étendard bu, on hisse les gourdes, qui flottent au vent. V'là l'bon vent, v'là l'joli vent, mon ami l'étang... Soudain elle s'écrie: "Un homme à la mer!". Mais non: il se baigne tranquillement...

L. et ses 27 printemps, dans la montée ; l'orry en plan rapproché ; l'étang d'Arbu dans son écrin de gispet* et de cailloux...
Les choses se gâtent quand on montre le sommet, pourtant proche, du Pic des 3 Seigneurs. Il est déjà tard, on a faim, ma jambe est lourde, il fait chaud, demain j'ai piscine, on a déjà beaucoup marché, et la descente alors? Heureusement, notre réputation d'hôtes nous précède et le bon goût toujours raffiné de la maîtresse de maison n'étant plus à démontrer (ça nous a coûté une fortune en Ferrero Rocher, mais le retour sur investissement est inestimable), on nous écoute donc.

"L'ertrand d'Arthus vu du ciel", comme dirait Yann-Arbu B'Étang!
Heureusement aussi, la montée est progressive et ludique, le long d'un petit ruisseau au fond duquel le sentier se perd souvent. Quelques cairns de beau granite gris montrent le chemin, pas évident par ailleurs, vers la majestueuse ligne de crête, que l'on récupère finalement, le lactate dans les cuisses et dans les talons, l'estomac...
Un casse-croûte bienvenu à base de produits locaux fait son apparition comme par magie un peu au-dessus de la côte 2000 m, où le gispet* fait non seulement rage mais encore un beau tapis touffu qui active délicieusement la circulation dans les glutéaux façon réflexologie/acupuncture. Depuis ce belvédère en avant de la chaîne, on admire les vues panoramiques à 360º: le Port de Lers et le Massatois à nos pieds; le massif du Valier perdu dans les nuages; derrière lui le Luchonais, déjà, perdu dans les nuages; devant nous au Sud, les 3.000 ariégeois perdus dans les nuages; plus loin l'Andorre, perdue dans les nuages; plus loin encore vers l'Est, le Canigou, perdu dans les nuages; au Nord la plaine et Toulouse, nimbées d'un smog douteux aux notes bleutées...

les Pyrénées ariégeoises dans toute leur verdoyante majesté (et avec un léger penchant à droite).

U. & L. en mode Urga et une croupe après l'autre de la longue crête de descente, qui n'en finit pas d'être ariégeoise...
Le ventre plein et les yeux rivés sur d'audacieux parapentistes, la descente se fait sans histoires. Toutefois, fidèle au slogan du pays, elle aussi, monte et descend sans relâche. La belle croupe herbeuse n'en finit pas de s'arrondir à nouveau, tandis que le port de Lers n'en finit pas de se faire désirer, bien décidé à ne pas se livrer à nos semelles boueuses sans quelques sinueuses allées et venues supplémentaires. Pire, la voiture est garée deux kilomètres en contrebas du col, dans ce virage de la petite départementale d'où nous sommes partis plus tôt le matin. Futuna dans un élan d'héroïsme teinté d'un sournois mais lancinant sentiment de culpabilité va donc prendre un peu d'avance pour assurer un service de taxi: sinon avec le sourire, au moins avec dévouement. Hum. On oublie trop souvent à quel point les douleurs chroniques peuvent, parfois, rendre ceux qui en souffrent quelque peu susceptibles, voire carrément irritables... Voilà voilà. Sur ce, et dans un silence gêné par cet aveu en forme de cri du cœur, il va falloir conclure! Retour au bercail sains et saufs, douches chaudes, habits propres et autres préparatifs joyeux d'une fin de weekend idyllique. Sur table: fromages, charcuterie, légumes du jardin, vin et rires; puis finalement, sur quai: des adieux déchirants à la gare SNCF toute proche... On rend l'antenne, à vous les studios.

le port de Lers, ses hordes de parapentistes, sa guinguette et ses vertes prairies.

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* bien connu des randonneurs, des pêcheurs et des chasseurs tout au long de la chaîne, synonyme à la fois de pique-nique pique-les-fesses et de dérapages incontrôlés lors de descentes sous la pluie, le gispet (Festuka eskia) mérite une place de choix dans le patrimoine culturel (im)matériel de nos chères Pyrénées; ça m'étonnerait pas qu'Olivier de Robert l'évoque dans un de ses sketches...