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Sunday, January 21, 2018

- FERMÉ POUR CONGÉS ANNUELS -


et bonne année, au fait! by the way, happy new year! por cierto: ¡feliz año nuevo!


Comme tous les ans, on est partis travailler au pays basque pour quelques semaines. Et on en profite (pas comme tous les ans) pour faire une pause dans les travaux. On en profite aussi - l'occasion fait le larron - pour rattraper des posts en retard: de l'aventure home(t)raveling en 2017 et même du non-voyage au bout du monde en 2016.

Du coup, on vous laisse avec cette page un peu cheap et on vous invite à vous plonger dans les articles que vous auriez pu rater, en navigant dans la colonne de droite. Il y a un calendrier fort pratique et une sélection aléatoire fort... aléatoire, pour trouver ce que vous cherchez ou pour vous laisser surprendre. Voilà!

Nous, on revient au printemps avec plein d'énergie et de surprises. On espère que vous aussi...
Bises à tou(te)s et à bientôt!
Wallis & Futuna



As every year, we are working in Basque country for a few weeks. And we take this chance (unlike every year) to take a break from working on the house. We also take this chance - "l'occasion fait le larron" - to write some long due posts: about the 2017 home(t)raveling adventure and even the 2016 un-travel until the end of the world.

We leave you to this cheap page, and invite you to read the posts you might have missed. You can navigate with the column on the right: there's a pretty handy calendar and a random selection that's quite... random, to help you find what you're looking for, or just pick and taste. Voilà!

We'll be back in spring full of energy and surprises. Hopefully, you too...
xx to all and see you soon!
Wallis & Futuna



Como cada año, estamos trabajando en país vasco una temporada. Y aprovechamos (no como cada año) para hacer una pausa en la obra. También aprovechamos - "l'occasion fait le larron" - para recuperar unos posts retrasados: de la aventura home(t)raveling de 2017 e incluso del no-viaje al fin del mundo de 2016.

Os dejamos, pues, con esta página un poco barata, y os invitamos a leer todos los artículos que os podríais haber perdido. Se puede navegar por la columna de la derecha: tiene un calendario muy práctico y una selección aleatoria muy... aleatoria, para encontrar lo que buscáis o dejaros sorprender. Voilà!

Volveremos en primavera con mucha energía y muchas sorpresas. Esperamos que vosotros también...
Besos à tod@s y hasta pronto!
Wallis & Futuna





Friday, March 17, 2017

l'arbre qui (ne) cachait (pas) la forêt

Comme (presque) chaque hiver depuis (presque) dix ans, le pays basque français (aka Euskal Herria, Hiparralde ou basse Navarre: appelez-le comme vous voudrez) nous accueille pour un mois ou deux, le temps d'y faire du travail saisonnier et vétérinaire - à moins que ce ne soit plutôt le contraire.

brebis Manech "têtes noires" et "têtes rousses" au pré et au soleil du pays Quint.
Si l'on y revient encore et toujours, c'est sans doute moins pour le travail en lui-même* que pour son cadre magnifique : vert et minéral, domestique et sauvage, désert et habité, intense et bienveillant, etc. (les qualificatifs manquent souvent, les contrastes, jamais : jugez plutôt). C'est donc peu à peu devenu une habitude et, sans qu'on s'en rende compte, ce vrai petit val qui mousse de moutons, ce trou de verdure où chantent plusieurs Nive (allez, quand d'autres rendent montres et costumes, rendons à Arthur ce qui est à Arthur) a pris une place de choix parmi nos #backyard views: ces non-maisons, résidences temporaires, haltes nomades et autres "et toujours l'on revient, à ces lieux du passé, où l'on aimait la vie"** qui nous ont ouvert leur porte et pas que, pour une nuit ou pour plusieurs années. Car l'incroyable richesse et la variété des "vues de ma fenêtre" offertes par nos maisons sur roues (successivement le TRANSITion! et le 2c15), différentes chaque matin, ne sauraient éclipser celle d'ici, du premier étage du cabinet vétérinaire. Toujours la même et pourtant, elle aussi, toujours différente. Au prix d'une prétérition, on vous épargne le proverbe bouddhiste du bain dans la même rivière et de l'eau nénamoins toujours renouvelée. Et pourtant Ford sait que ça viendrait à point et tomberait à pic. Ça, c'est fait. Reste encore à caler une prosopopée ou un hypallage quelque part et on aura le quota pour aujourd'hui.

star indiscutable de nos séjours hivernaux ici: l'arbre par la fenêtre, qui est aussi au deumeurant par-dessus le toit (si bleu, si calme?)
Bien. Ce post ne prétend pas faire l'éloge de la routine - quoique - ni du bonheur d'ouvrir la fenêtre chaque matin pour découvrir le même paysage, mais bien rendre hommage à celui-ci en particulier: pousser le volet, regarder le ciel (rendons à Saint John ce qui est Saint John), lever les yeux de l'écran et embrasser du regard la ligne des crêtes pelées d'Iparla ou des sommets boisés d'Iraty. En un mot, ce paysage en particulier avec ses circonstances, ses fermes accrochées à flanc de colline et... son arbre désormais presqu'aussi légendaire que celui du Ténéré. Tout comme la vue de la fenêtre, les journées ici - et c'est finalement rassurant - se suivent et se ressemblent toujours un peu. On se lève avec le soleil, on roule, on monte par là, on fait la tournée, on court après la montre, on casse la croûte, on recommence à tourner et à courir après la montre, puis à la fin on redescend pour recommencer le lendemain. Vu de plus près, ça donne ça:
lever de soleil sur le Béhorléguy, qui dépasse un tas de fumier à la Schopenhauer.
On se gare dans la cour d'une ferme, on serre des mains, on parle du temps, du monde qui marche sur la tête et de la même chose que chez le voisin : le prix de l'agneau qui dégringole, le prix de l'aliment qui s'envole, le poids ahurissant des contrôles et des paperasses, la pression et les contraintes qui pèsent sur les éleveurs, chaque année un peu plus lourdes, le peu de jeunes qui s'installent, le futur incertain et le ras-le-bol croissant...

" - Bon, allez. C'est pas tout ça, mais va falloir s'y mettre, hein!" À partir de là, deux options possibles, qui ne changent pas beaucoup le déroulement du machin:

a) " - Comment vous voulez faire, docteur? Il faut vous les tenir? Ah? Bon bon... Oui, d'accord. Je les attache, alors? Oui? Vous êtes sûr? Non non, docteur, c'est comme vous voulez, hein."

b) " -Tu es stagiaire ou tu as fini les études? Tu vas les faire comme ça même, hein? Ah non? Il faut te les attacher? Pourtant d'habitude... Bon, d'accord, c'est comme tu veux, hein."

Dans les deux cas, ils finissent par les attacher de plus ou moins bon coeur et on peut faire le boulot. La question se résume finalement au temps que ça va prendre. Puis on fait signer des papiers (chaque année un peu plus), on se passe un coup de jet sur les bottes et sur les mains, on serre des mains ou le poignet qu'on nous tend puisqu'on vient de se laver les mains, et on part vers la ferme suivante. On évite un chien débile qui se jette sur/sous les roues du 2c15 pour les mordre, et de temps en temps, par nostalgie de l'époque où on découvrait encore la région, on se perd un peu histoire de dire, d'explorer ce chemin mal carrossé ou de pouvoir demander à cette vieille qui bine ses poireaux au soleil où est la maison Truc-etchea ou le GAEC Machin-berria... Le train-train, en définitive.

heureux, espatifflés au soleil et à l'abri du vent à l'heure de la sieste - "pas un seul bruit d'insecte ou d'abeille en maraude..."***
Quand midi sonne (ou midi et demie, ou une heure, ça dépend des jours, des tournées et de la bonne volonté des éleveurs), on s'arrête pour manger un morceau. S'il fait moche et froid, ou si un délégué local nommé par le GDS a pris sa journée pour accompagner la tournée, on va au resto manger un menu ouvrier. Pour 12 ou 13 euros, c'est l'indigestion assurée: garbure au talon de jambon, hors-d'oeuvre, crudités et/ou charcuterie, viande et garniture, fromage de brebis et dessert gâteau basque. Le tout servi généreusement à la mode grand-mère ("vous n'allez pas me laisser ça!"), avec souvent de l'oeuf, du lard, de la friture, de la sauce au beurre et - bien sûr - le gros rouge et le café compris. Même avec des années d'entraînement, c'est toujours difficile de repartir avec tout ça dans le bide. Et pas question de demander "juste un plat du jour en direct" ou "une petite salade verte sur le pouce". Déjà que refuser le pastis pour l'apéro, c'est limite un affront, imaginez le tableau si on demandait poliment des légumes verts bouillis.

comme les porcs basques: trouver un bon spot au soleil et à l'abri du vent est tout un art, qui demande patience, expérience et intuition!
Heureusement, s'il fait soleil et/ou quand la saison est un peu plus avancée, on a l'habitude d'emporter une baguette, du pain, du fromage et des fruits, pour casser la croûte dans ou à côté de la voiture, quelque part avec un peu de vue et pas de vis-à-vis. La sieste de l'après casse-croûte est alors un des petits plaisirs les plus merveilleux qui soient. On se chauffe la couenne au soleil, à l'air libre ou derrière le pare-brise, on rêve éveillé et on déconnecte un moment. Ce qui nous conduit à la principale raison pour laquelle on revient encore et toujours (d'accord, la deuxième principale raison, la première étant que c'est un travail rémunéré et que si c'était bénévole, on irait sans doute se promener sans passer la journée les pieds et les mains dans la m---e, au c-l des mignonnes brebis et des gentilles va-vaches): pour le cadre exceptionnel de ce bureau à ciel ouvert. On regarde par la fenêtre, on s'emplit de paysage, on se gave de vert et on respire profondément ce coin de paradis pyrénéen qui ne ressemble à aucun autre. Jugez encore et plutôt:

quelques-unes de nos aires de pique-nique sauvage, jamais très loin de la civilisation, toujours uniques, suspendues entre le vert et le bleu.
Et ce n'est pas du snobisme ni du 64-isme version Euskal herria, hein. Ossau, Aspe et Barétous sont fascinants, les Pyrénées centrales (dites "hautes") grandioses, le Luchonnais magnifique, l'Aragon majestueux, la Catalogne a ses Encantats, l'Ariège ses trésors de caillou, de vert et d'eau. Les Pyrénées sont belles jusqu'au Cap de Creus, où elles se jettent nues dans la Méditerranée - ce n'est pas nous qui vous dirons le contraire. On essaye d'ailleurs de leur rendre hommage aussi souvent que possible dans ces colonnes. Mais ça n'enlève rien au charme unique de la basse Navarre. Aaaah, la basse Navarre: ses villages typiques, ses brebis folkloriques, ses bergers rustiques, ses prairies buccoliques... sa faune endémique! Parmi les résidents habituels du cru, le vautour fauve est un modèle d'intégration: au paysage, à la chaîne alimentaire et au modus vivendi local. Nettoyeur à haute pression, moins cher et plus durable que l'équarrissage, véritable cul-de-sac épidémiologique pour plein de germes pathogènes, c'est également - malgré le déni forcené et coupable des autorités comme des ayatollahs de la LPO - un prédateur occasionnel dont la prolifération met en danger les jeunes et nouveaux-nés au pré, sans parler des bergers et randonneurs imprudents. Énormes, gras et pas impressionnables pour deux sous, les vautours vivent à l'aise au contact des humains et de leurs troupeaux. Certains finissent même confortablement assis dans des bureaux de banques ou d'administrations!

ô Gyps, suspends ton vol, et vous, heures propices, suspendez votre cours: laissez-nous savourer les délices, des plus beaux de nos jours!
Une fois terminée cette pause délicieuse, ce(tte) (t)rêve éveillé(e) ou pas, cette bulle d'autre monde, il faut y retourner. Enfiler à nouveau les bottes crottées et à nouveau zipper la combinaison, pour mieux redescendre à la terre, à ses petits tracas et ses mondaines préoccupations. Dans la bonne humeur et contre la montre, comme tout au long de la matinée, faire de la mauvaise volonté des uns et de l'esprit de contradiction des autres un entraînement de guerrier zen. Il n'y a rien au bout de la patience: au bout de la patience, il y a plus de patience. La pile des DAP (document d'accompagnement de prélèvements) diminue lentement. Mais centrer son attention sur le résultat ne mène nulle part. Seul existe le moment présent. Oooom! Enfin, bon, ça c'est la théorie... "Milesker! Adio!" Le chien, la voiture, les pneus... Jusqu'à ce que tout à coup, l'accordéon expire, le dernier DAP soit signé et les derniers vacutainers soient dans un sac en plastique fermé, dans le coffre de la voiture: mission accomplie, retour à la base. Paperasse, lessive, douche. À un moment ou à un autre, le soleil se couchera derrière les crêtes d'Iparla, il y aura de l'ardi gasna pour accompagner la soupe au dîner, et sans doute un verre de rouge. Et demain, alors? Bah, on recommencera.

de retour à la base: coucher de soleil depuis la terrasse, ardi gasna fermier pour le dessert et calme humide de la nuit (et un hypallage, un!)


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on l'a déjà évoqué (plus d'une fois!) dans ces colonnes et en cliquant sur les mots-clefs "vétos, vaches, brebis, bétail et/ou Iparralde" dans le minibus/nuage de mots de la colonne de droite, vous devriez trouver quelques posts pour une petite mise en bouche, ou mise à jour rapide.

** traduction approximative et immédiate de la canción de las simples cosas, bien sûr: autre référence récurrente et autre milestone d'Un(t)raveling, dont on ne se lasse pas, qu'elle soit chantée par Chavela Vargas, Mercedes Sosa ou, comme ici, par Concha Buika.

*** extrait de La sieste de José María de Heredia (1842-1905). cherchez-le, lisez-le, piquez un somme...


Wednesday, March 11, 2015

Bruits de fonds d'étables... (3)

...et autres brèves d'abreuvoirs


Sauf vot' respect monsieur Aufray!*

Depuis deux jours au cabinet, on ne parle que de toi. Chacun y va de sa petite histoire, évoque quelque épisode sinistre ou égrène la liste des affections psychiatriques dont tu souffres. Comme la fois où tu as chassé B. avec une fourche. Comme le regard dégoûtant que tu poses sur les ASV chaque fois que tu viens au cabinet. Ou comme tes voisins, qui ont préféré calfeutrer les fenêtres qui donnent sur ta maison. Mais la plus terrible, c'est celle que m'ont racontée P. et Z. hier. La fois où D., appelé en urgence pour un vêlage difficile, est entré dans l'étable et y a trouvé ton chien en train de rejouer la scène finale du Meilleur des mondes: il se balançait doucement au milieu de l'allée centrale, pendu à une poutre. "Oui mais, - lui aurais-tu alors expliqué comme une réponse à la question qu'il avait préféré ne pas poser - je lui ai pourtant dit cent fois qu'on ne mord pas le jarret des vaches!"

"- Meuh non, c'est pas vrai'! - Meuh si, tout l'monde en parle, j'te dis!"
K. m'a même précisé que si on m'envoie chez toi, c'est parce qu'on ne peut raisonnablement pas laisser A. (elle aussi embauchée pour la prophylaxie sanitaire) se présenter chez toi seule. Avec les femmes, ça se passe déjà mal au cabinet, on ne va pas t'en livrer une à domicile! Tu risquerais de le prendre comme un défi. En tout cas, tous sont tombés d'accord: si ça tourne mal, il faut filer en vitesse. Ne pas répondre, ne pas envenimer les choses. Ils ont acquiescé en silence puis baissé la tête. Avec un peu de chance, tu seras simplement mal luné, tu m'insulteras depuis la fenêtre de la cuisine et refuseras de m'ouvrir. Au fond ce serait un moindre mal... et à nouveau les hochements de tête et le silence gêné, regards au sol.

Et le grand jour arrive. La matinée se passe bien, chargée mais sans histoires. Je monte déjeuner au restaurant du col de G., réputé pour son calme et sa vue imprenable sur le bourg de B. et toute la vallée. En fait de calme, un autocar de jeunes retraités en goguette occupe une bonne moitié de l'immense salle à manger. Ils en sont au dessert, n'ont visiblement pas bu que de l'eau, chantent en canon des traditionnels pyrénéens et encouragent ceux qui dansent déjà entre les tables une espèce de tarentelle à la sauce béarnaise. Pour la vue, je repasserai: la brume épaisse tombée avant midi nous enveloppe comme pour cacher ce sein que l'on ne saurait voir. Je mange avec appétit un croque-monsieur basque (un bon kilo de pain de campagne épais, fromage de brebis AOP fondu et jambon du Kintoa poêlé) servi sur un lit de salade, pomme et raisins secs. Je n'ai déjà plus faim. On me sert alors quatre truitelles de la Nive farinées, grillées et arrosées d'une sauce à la crème et amandes effilées, accompagnées de croquettes de pomme de terre et purée de carotte. Je leur fais honneur en finissant soigneusement mon assiette. Je suis prêt à exploser. Puis vient le plateau de fromages et sa confiture de cerises. Et le dessert du jour: tiramisu mangue-ananas. D'accord, je connais les portions du coin, mais je commence à soupçonner que n'est pas le menu du jour à douze euros cinquante. C'est peut-être, je pense avec émotion, un special treat des vétos au cas où ce serait mon dernier repas... Je demande un café et l'addition à contre-cœur. J'ai rendez-vous chez toi à quatorze heures, quinze heures viennent de sonner là en-bas, sur terre, dans la brume. Je n'arrive pas à décoller.

Retour sur terre après une courte pause au ciel...
Je décide finalement de faire une autre maison avant la tienne, sous prétexte qu'elle est sur ma route et que comme ça, je n'aurai pas à y retourner après. Il s'agit d'un petit troupeau d'une quinzaine de vaches: prises de sang et traitement anti-parasitaire. J'apprécie comme jamais l'indolence bonhomme de l'éleveur et le remercie en silence à chaque vache qu'il attache maladroitement avec son méchant bout de corde, s'y reprenant à deux fois, sans se presser. Et sans succès. Je savoure comme une dernière cigarette le sursis de ses gestes lents et, il faut le dire, maladroits. Chaque fois que son lasso improvisé agrippe une corne, la vache secoue la tête doucement et se libère. D'habitude, ce petit jeu me fait enrager. Aujourd'hui, il m'émerveille. J'y vois un moment de complicité entre l'homme et l'animal. Mieux, un exemple troublant de co-évolution, chacun des ces organismes symbiotes ayant développé au fil des générations astuces et adaptations pour tirer le meilleur profit de l'interaction - de l'autre, pour être moins politiquement correct. Une heure pour une visite qui aurait pu nous prendre vingt minutes: en temps normal, j'aurais eu la sensation de perdre mon temps. Aujourd'hui, je sens que je l'ai gagné et le savoure à petites bouffées, soufflant mentalement dans l'air de l'étable de petits ronds de fumée bleue. Plus haut dans le ciel, un aigle me donne l'heure... Lieeek!**

Il est environ seize heures quand je gare finalement la voiture devant chez toi. La bande-son de ce moment s'impose d'elle même: "Avec ce retard là, tu ne m'ouvriras pas - chante Thomas Fersen dans les transports en commun - autant faire demi-tour, et remettre l'amour". Je klaxonne déjà soulagé: tu vas me crier d'aller me faire voir, ce que je ferai avec un plaisir non dissimulé. Et là, tu apparais. Grand et mince dans ta combinaison vert anglais, le casque argenté et la fière moustache de Gaulois flottant au-dessus d'une ébauche de sourire. Hughes! Surgissant du passé, il était revenu. Ô l'oiseau, ô dis, emmène-moi, comme avant, dans mes rêves d'enfant... (Merci Barbara pour cet intermède intemporel). La ressemblance est troublante. Barbara s'efface. Thomas Fersen l'a précédée en coulisses alors que tu montais sur scène aux premiers accords de Santiano.

Puisqu'on est dans la chanson française éternelle: C'est la danse...
S'ensuit une conversation inattendue:
- Vous êtes le vétérinaire? 
- Oui, dis-je en m'excusant déjà de n'être pas plus loin (Jacques Brel, sors de ce corps!)
- Dios! Je ne suis pas prêt. Je ne vous attendais pas si tôt!
Grglk... (gargouillis inintelligible mais à l'unisson des truitelles, du croque-monsieur et du tiramisu)
- Vous ne pouvez pas aller faire le voisin et revenir dans un moment? Je dois les attacher.
- À vrai dire, vous êtes le dernier de la journée. Et je m'empresse d'ajouter: si ça ne vous convient pas, on reviendra un autre jour!
- Non non non, puisque vous êtes là, on va le faire. Ah la la. Je suis confus docteur, je vais vous demander de patienter.
- Bien sûr, bien sûr, aucun problème, prenez votre temps, je vais m'asseoir là (à te regarder, laisse-moi devenir l'ombre de ton ombre, l'ombre de ta main, l'ombre de ton chien... euh non!)

En Brel, euh, en bref: tu me dis que tu n'en as pas pour très longtemps: vingt ou vingt-cinq minutes tout au plus (!!!) et que tu m'avertiras dès que tout sera prêt. Après quoi, tu entrouvres la porte coulissante en tôle de l'étable, disparais à l'intérieur et la refermes derrière toi. Au bout de quelques secondes, un concert de mugissements et de coups sourds éclate, s'amplifie et se propage dans le bâtiment comme un frisson.



Dieu! la voix sépulcrale, des Djinns! ...quel bruit ils font.
Fuyons sou la spirale, de l'escalier profond.
Déjà s'éteint ma lampe, et l'ombre de la rampe
Qui le long du mur rampe, monte jusqu'au plafond.
(Victor Hugo, les Djinns, in Les Orientales, 1858.)


Puis il s'éteint comme qu'il a démarré: l'essaim est passé. Je m'éloigne du portail, un subtil réseau de ficelle  tressée de nylon bleu (celle qui lie les balles de paille et que les paysans utilisent pour mille autres trucs du quotidien) et je vais préparer mes affaires. Puis je m'assieds sur le muret à côté de ta voiture pour écrire un texto d'adieu à Wallis. Je me demande si ton portail est plus efficace pour interdire l'entrée aux voleurs ou la sortie aux vaches. Et réalise alors avec effroi que c'est justement son caractère éthéré, intangible, qui le rend dissuasif. Un individu sain d'esprit n'aurait jamais pu le concevoir. C'est donc l'oeuvre d'un déséquilibré. La fenêtre avant de ta Renault express est ouverte, la clé est sur le contact. Bien sûr: tout le monde te connaît, personne ne serait assez fou ici pour te la voler. Les minutes passent trop lentement. Je vais uriner contre la clôture de tes voisins en observant les nuages. Je regarde l'heure: seize heures trente. Dans le ciel, l'aigle se fout de moi. Je passe à nouveau en revue l'intérieur de ta voiture et remarque alors la séparation entre les sièges et la caisse: au lieu des barres ou du grillage habituels, il y a une - comment dire? - une espèce de toile d'araignée tissée en bouts de ficelle bleue noués entre eux. Un filet aux mailles grossières et irrégulières, délicat et d'aspect fragile. Si on ne m'avait pas raconté toutes ces histoires, j'aurais imaginé qu'un enfant l'avait fait pour s'amuser et qu'ému, tu l'avais laissé là. Il se dégage pourtant de ce gigantesque dream-catcher de nylon quelque chose de terriblement dérangeant.

Ce week-end, à la fête à L'hortet, c'est 'Adrénaline' qui mène le bal! Ouais! 
Enfin, la porte de l'étable s'ouvre en grinçant et tu m'invites à entrer en t'excusant à nouveau pour le délai. Le spectacle qui m'attend à l'intérieur le valait bien! Les vaches sont là (en vie!), bien alignées côte à côte. Mais en plus de la sangle habituelle qui les prend à l'encolure, ce sont des dizaines de bouts de ficelle bleue, noués ensemble bout à bout et entrecroisés, qui lient entre eux pattes, cornes et mufles. Le même acharnement patient et laborieux, le même aspect en toile d'araignée que dans ta voiture, pour un résultat d'une autre envergure. On dirait une nature morte macabre sortie tout droit du Silence des agneaux. Ou l'installation d'arbres magiques de Seven. Franchement, si tu voulais me faire flipper, c'est réussi! C'est une caméra cachée, je me dis. Ils doivent tous bien se marrer au cabinet, en voyant ma tête. En tout cas, l'installation joue son rôle à la perfection: les vaches sont calmes et ne bronchent pas quand je les pique. Peut-être ont-elles retenu la leçon du chien? Tu m'aides de ton mieux, me donnes les numéros des boucles, proposes de tenir un peu mieux telle ou telle bête qui est "coquine". En un mot, tu es aimable et mieux luné que la plupart des autres éleveurs. Tu m'accompagnes ensuite derrière le bâtiment, où quelques autres vaches sont attachées et attendent leur tour. C'est seulement quand je m'aperçois que j'ai laissé les papiers sur une boule de foin dans l'étable et fais mine d'aller les chercher que tu perds le contrôle l'espace d'un instant et pars en courant devant moi, pour les ramasser et me les tendre avec un rictus inquiétant. Tu ne veux pas que j'aille seul à l'étable... pour mon bien, sans doute? Une fois le travail terminé, je te fais signer les papiers, te remercie pour ta collaboration et serre la main que tu me tends avec un grand sourire. Je monte dans la voiture et file tout au droit au cabinet prendre une douche chaude et un verre de vin (bien mérité) en guise d'apéritif le temps de finir la paperasseJe dors plutôt mal cette nuit-là (comme les suivantes d'ailleurs), hanté par l'image de ton installation éphémère pour bovins et bouts de ficelle. Je fais des rêves confus d'animaux mutilés et de rituels barbares, dans lesquels tu apparais sourire aux lèvres et moustache au vent. 

C'est une maison bl(ême), adossée à la colline, on y vient à pied, on ne fra...
Le lendemain midi en rentrant à la clinique, je suis reçu par B. qui me demande hilare comment s'est passée notre rencontre de la veille. Quand je lui réponds que ça a été, il me dit que tu es venu au cabinet ce matin en demandant à me voir. Après m'avoir fait mijoter un moment, il me tend une enveloppe. Dedans, ton message: cette phrase écrite sur un post-it "encore désolé docteur, en vous remerciant pour votre patience" et un billet de dix euros. Je me demande encore ce qui s'est passé.



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* pour aussi choquant que cela puisse paraître, les événements rapportés dans ce post sont malheureusement authentiques: lieux, faits, personnes et conversations sont reproduits ici aussi fidèlement que possible. Non, ce n'est pas arrivé dans le Minnesota en 2006. Comme vous le comprendrez, les circonstances ne nous ont pas permis de prendre de photos (qui en auraient traumatisé plus d'un, d'ailleurs).

** toute allusion ironique à un best-seller d'Eckhard Tolle est fortuite et indépendante de notre volonté. Remarque: la traduction française de la réponse de l'aigle à la question "Quelle heure est-il?" donerait quelque chose comme "Il est Maintenant".


Friday, March 6, 2015

Deshilachados: entre (It)acá y otra parte...

Como ya contamos en su momento, hubo un momento a principios de enero en el que nos encontramos de repente sin nuestra casa rodante. La quisimos vender y tuvimos bastante suerte: la vendimos rápido. ¿Demasiado rápido? Tampoco es que teníamos donde ir a parar, a pesar de las habituales casas de familia y amigos. Y aunque se esté muy, pero muy bien en casa de familia y amigos, no son exactamente lugares para quedarse mucho rato... Especialmente en invierno, cuando hace frío y lo que más apetece es moverse poco, abrigarse mucho y quedarse cerca de la estufa todo el día, mirando por la ventana las montañas nevadas, los renos que pastan y cosas así. Uno de nuestros himnos, evocado alguna vez ya en estas columnas, es la Canción de las simples cosas de la gran Chavela Vargas, maravillosamente versionada por Concha Buika y Chucho Valdes:

"Uno vuelve siempre, dice, A los viejos sitios, Donde amó la vida"

D.O. Somontano: ermitas colgadas entre canales de regadío y viñedos.
Y eso es precisamente lo que se nos dio por hacer este invierno: entre tener la casa metida dentro del coche y tener el coche aparcado delante de casa, tuvimos un extraño paréntesis de varias semanas en las que flotamos - apátridas y sin rumbo - entre viejos sitios donde amamos la vida. Con el proyecto de buscarnos una madriguera de alquiler en algún rincón de algún valle pirenaico, emprendimos un mini-recorrido de casas conocidas, de brazos acogedores, de nostalgias adormecidas y de hogares adoptivos... Con dos mochilas y una manta de acrílico a bordo del 2c15 mínimamente acondicionado (pero todavía mucho más austero que el viejo TRANSITion!), la carretera se convirtió en una especie de soma, una especie de droga de textura espesa que difuminaba el frío y la falta de destino concreto a base de kilómetros de paisajes petrificados.

El señor de todas las Catalunyas en pleno ataque de esplendor!
Parecía que las siluetas del Canigó, de Ordesa, del Ossau o del Pic d'Anie se nos apresuraban todas contra los cristales a la vez ; como si el tiempo y las distancias se borraran en el desfile lento de ríos y valles por los retrovisores... Las indicaciones de los carteles: Prades, Jaca, Tremp, Pau, Figueres, Pamplona, Aspet, La Seu... iban perdiendo el significado al pasarnos en el borde de la carretera. Se volvían sonidos familiares pero confusos, oraciones mil veces repetidas: unos salmos a la gloria de aquellas deidades arropadas en la nieve y el olvido. En ningún caso permanecían como referencias tangibles de nuestra divagación invernal... Liberados de las normas topográficas, buscábamos algo a lo que agarrarnos. Siempre nos quedará el Pirineo, parecía decir nuestro ir y venir por la falda de los valles, aunque no tuviéramos ninguna idea clara de qué hacer de Él. Para quien vive o ha vivido cerca del Pirineo, su eje es más bien un centro. Centro de gravedad o de rotación. Centro del mundo, tal vez... Raíz, también. Más que frontera, el Pirineo es puente. Y son muchas las orillas que une su arca de piedra. Con cariño y algo de paciencia, con un poco de tiempo y con lo suficiente silencio, cada una de ellas se deja domesticar. A cada una se la puede llegar a llamar hogar: Pyrénées-Orientales, Catalunya, Ariège, Andorra, Haute-Garonne, Hautes-Pyrénées, Aragón, Pyrénées-Atlantiques, Nafarroa, País vasco... de mar a mar, y vuelta.

Desayunando en el gran Café Iruña, bocadillitos de jamón contra vientos y mareas.
En estas pocas semanas, cruzamos y transitamos de arriba abajo, en ambos sentidos (y hasta a veces en diagonal) la mayoría de sus provincias. Como huyendo hacia quién sabe donde, dos Ulises (¿o serán dos Uliseses?) que ya ni recuerdan la islita llamada Ítaca que andan buscando... En país vasco como en Eea, la isla de Circe, hace tiempo ya que han cambiado a los marineros por cerdos (with all due respect...). A algunos nostálgicos de la pesca del bacalao puede que les disguste escucharlo pero lo que hay que reconocer, es que sí entienden de jamón... Saben más incluso al Sur de Ibañeta que no al Norte, a pesar del orgullo con el que te hablan allí del Kintoa o de la D.O. Ibaïona. En fin... Por eso quizás y porque la estación de Pamplona o el gran Café Iruña son lugares de aquellos donde amamos la vida, decidimos volver unas semanas a trabajar por las Iparraldias.

El perro pastor educado: si no te puede morder, por lo menos te saludará. 
Hacer temporada de pique (se trata de saneamiento de ganado estacional, una tarea veterinaria a la que dedicamos tradicionalmente parte de los meses de enero, febrero y marzo) allí ya es casi una tradición. Y en épocas de no tener según qué cosas bien claras, las tradiciones son algo demasiado sólido como para no agarrarse de ellas! A pesar de un tiempo particularmente feo, de nevadas y lluvias torrenciales, inundaciones, carreteras cortadas y árboles arrancados ; a pesar de (y como consecuencia) encontrarnos al rebaño de ganaderos de una mala leche de millésime, reconocimos allí caras y rutinas familiares, así como algún que otro nuevo amigo peludo siempre dispuesto a enseñar la patita... o el colmillete. Allí entre vacas y ovejas, se trabaja de lunes a sábado al aire libre, lo que quiere decir: a la intemperie y no hay excusa que valga para escaparse. Por eso y con semejante dieta, si toca mal tiempo el domingo también, uno no se siente culpable por quedarse en la cama! Aun así, puede que la promesa de unas grandes mareas y un sol tímido te inciten a bajar hasta el océano para "aprovechar" algo del fin de semana. ¡Ingenuos! Una vez traducida, la propuesta suena a algo así como: "pasar frío en los diques abandonados, cazar fotos de faros como otros cazaron molinos de viento hasta finalmente no poder más con los latigazos del viento salado que hace vibrar un mar color de boquerón en salmuera, con aromas de mejillón pasado y vuelos de bolsas de plástico"... Y después de tanto pinchar y tanto vacunar a tanto y tanto ganado, después de ir y venir tantas veces por las mismas cuatro carreteras de los mismos cuatro pueblecillos, después de repetir tantas veces "Hola! Qué hay? Como le va la vida? Están las ovejas? Las tiene preparadas? Cómo que no le habían avisado? Vale, vale, me espero. No hay problema!", una buena mañana llega el último día y a la tarde de repente se acabó, terminó, ya fue.

La desembocadura del río Adour contra vientos y mareas, nunca mejor dicho.
De todo aquello, solo te quedan ropa para lavar y unas mochilas por hacer y nuevamente, allez hop! a la carretera. Solo que ahora, te llevas en el coche un recuerdo tenaz y persistente de aquel mundo rural tan entrañable. Hay historias de veterinarios que después de unos años de trabajo con su coche lo intentan vender y no pueden, de la peste sofocante que desprende. Parece que han curado millones de quesos de leche cruda allí dentro... En nuestro caso y con las temporadas cortitas que hacemos, no es nada que unos árboles mágicos no puedan solucionar. En el supermercado de la esquina, nada más salir de la clínica, te venden estos ambientadores con forma de bandeja de Euskal Herria y olor a manzana verde que hacen milagros... además de garantizarte un encuentro cálido y entretenido con la policía foral o la guardia civil nada más cruzar Ibañeta o el túnel de Aragnouet-Bielsa. No vamos a poner aquí palabras que hagan saltar los robots de la NSA, pero hay una cosa que no deja de fascinarme en las brigadas anti-terrorismo de dichos cuerpos: "Si fueramos t-----istas cruzando el Pirineo con el fin de reunirnos con otros t-----istas o cometer un acto de t-----ismo, ¿de verdad piensan ustedes que lo primero que se nos ocurriría sería colgar una bandeja vasca del retrovisor del coche robado en el que transitamos? ¿De verdad en sus talleres de formación específica, en esto les enseñan que tienen que fijarse?" En fin, cambiemos de tema que acaba de pasar un drone sobrevolando el huerto. De nuevo: colladas, nieve, valles, el Midi de Bigorre como un hito: Adiós Aquitaine! Hola Midi-Pyrénées! ¡Cuánto tiempo! Una y otra vez, el camino se retuerce y se pisotea a sí mismo. Que sensación más extraña, la de dar vueltas así. Lo mismo que hacíamos por el barrio en Barcelona, hace un año y medio. Una eternidad. Solo que ahora hay donde perderse, donde jugar: el patio se extiende de mar a mar.

El Lauragais: luz de fin del mundo y árboles fantasmas. 
A propósito de andar pasando una y otra vez por el mismo punto, decía nuestra querida Clara algo así como: "si te da la sensación que tu vida va en círculos y no estas avanzando, cambia de punto de vista. Pronto verás que se trata más bien de un espiral!" ¡Gracias Clarita! A mi, la línea de nuestras andanzas y vagabundeos me recuerda un trazo en cursiva: bucles grandes y pequeños, redondeando con pluma y tinta las curvas de cada letra... Como si al final se tratara de escribir la propia historia  a lo largo del camino, a base de andar, andar y andar. Y acá estamos otra vez: no muy lejos de Toulouse, entre Ariège, Aude y Tarn. En esta franja de tierra barrida por los vientos, que parece estar dudando siempre entre mar o montaña, continente o mediterráneo, occitán o catalán, lenguadoc o rossellón... Nos ponemos a buscar una madriguera en serio, adivinando en costras de queso de oveja el nombre del pueblo donde iremos a parar. ¡Venga! decidnos algo... Una pista, al menos... ¡Venga! La primera letra del pueblo ¿sí? Igual nos sería más fácil buscar en una playita de arena de la cuna de algún fresco torrente, una jabalina amamantando a sus jabatos, para decidir que allí nos instalaremos. ¿Y por qué no? Por lo menos eso en alguna ocasión se hizo, y con cierto éxito además. Bueno, no me extraña que los oráculos no se hayan quedado eso de las costras del queso entre sus métodos favoritos: los cuervos y el poso del café hablan más y no son tan sibilinos! Al final no hay que darle demasiada bola al ¿dónde?: Nicolas Bouvier decía en L'usage du monde que "lo importante no es llegar a ninguna parte, desde luego se trata de irse". Así que tarde o temprano aparecerá una tierra donde naufragar el 2c15 y sentarnos en un bacno a mirar la puesta del sol... de hecho, puede que ya la hayamos encontrado y esribamos esas líneas desde acá... pero schh! eso es otra historia!)


Deshilachados: entre (It)acá y otra parte...


Saturday, February 28, 2015

Bruits de fonds d'étables... (2)

...et autres brèves d'abreuvoirs


Des vertus de la Grande chélidoine.

Cette semaine, je "fais" la commune d'O., que je n'aime pas particulièrement, il faut bien le dire. J'espère que le délégué du G.D.S.* ne m'en voudra pas s'il tombe un jour sur ces colonnes (peu probable) et s'y reconnaît. Ça n'a rien à voir avec lui, au contraire: aimable, souriant et toujours prêt à détendre l'atmosphère avec un bon mot. La prophylaxie n'est pas vraiment une fête, mais il est patient et plein de bonne volonté. Et puis sa maman m'offre toujours le café avec des biscuits. Donc on rend à César... VoilàPour le reste: d'abord c'est à O., devant l'église précisément, qu'on m'a crevé un pneu de la Yaris il y a quelques années, pendant que je déjeunais au resto du coin. Je me gare, j'enlève ma combinaison et mes bottes, je vais manger.

Un cheval Pottok dont il sera question plus tard...
Quarante minutes et douze euros plus tard (café compris), je ressors et trouve mon pneu avant droit à plat, avec une belle entaille juste au-dessus de la jante: coup de couteau. Irréparable. Samedi 13h30, à moins de descendre à Bayonne, impossible de trouver un garage ouvert et j'ai toute la tournée de l'après-midi à faire... Je mets la galette et je m'y attelle. Deux heures plus tard, je suis chez le Maire, (dont les vaches sont particulièrement connes, soit dit en passant) à qui je raconte la mésaventure. Sa réponse est édifiante: "Ah ça, putain, ils devaient pas savoir que vous étiez le vétérinaire, sinon ils l'auraient pas fait! C'est pas des mauvais bougres par ici. Mais bon, mettez-vous à leur place, vous débarquez ici avec une voiture immatriculée HORS DU DÉPARTEMENT: c'est de la provocation! On n'a rien contre les vétérinaires, mais avec vos plaques de l'Ardèche ou de l'Ariège ou de je-ne-sais-où, vous l'avez un peu cherché aussi"... Passons, si je m'attarde sur ces gens qui sont nés quelque part, ça risque de déraper... Mais bon, je n'aime pas la tournée d'O. aussi pour d'autres raisons.
et une mystérieuse plante à fleurs jaunes. Quel suspens!
Il y a mes Alcooliques Anonymes, que j'appelle aussi mon Club des bras cassés: à quatre et avec des troupeaux somme toute modestes, ils arrivent à te bouleverser le planning d'une journée de travail même modérément chargée. Les motifs sont variés: il a fait froid hier ; il a mal au bras (cassé) ; les bêtes sont dehors ; il a pas envie ; il fait trop sec ; "vous voyez bien qu'elles sont en train de manger, c'est pas bon de les brusquer" ; il a un poil dans la main qui vient de pousser, là, juste à l'instant ; c'est l'heure d'aller faire l'écobuage ; on les avait pas avertis ; il pleut ; là ça tombe mal "parce que c'est la semaine où j'ai la garde de la fille donc ça serait mieux si vous pouviez repasser à l'heure des dessins animés, parce que là je peux vraiment pas" ; elles ont senti qu'il y avait quelque chose de bizarre, elles ont renversé une barrière et elles se sont barrées, c'est fou, non? ; pourtant ils avaient bien dit pas le mercredi matin ; il fait chaud ; il avait complètement oublié et il doit aller au kiné ; avec ce soleil, on allait pas les garder dedans ; "on va commencer par chez Dominique plutôt, on reviendra chez moi après" (Dominique qui habite à l'autre bout du village, dans un quartier qu'on doit faire plus tard, logiquement, en suivant l'ordre de la tournée qui n'a pas changé depuis 10 ans, soit dit en passant)... Voilà, ça c'est mon club des bras cassés. Ils se suivent d'une maison à l'autre "pour s'entraider" mais ils foutent rien, ils sentent le Ricard à dix heures du matin et ils restent plantés là à te regarder batailler mais y'en a pas un qui bougerait son c-- pour filer un coup de main! Il y a aussi tout un tas de gens pas aimables, bornés, de mauvaise foi, bordéliques ou jamais là. Il y a le classique qui tient la brebis n'importe comment, toute tordue et quand tu batailles un peu, te dit hilare: "alors? elle a pas de sang, ou quoi?". Il y a aussi ceux qui te reçoivent avec un:
- Ah c'est vous? Je vais vous dire, les bêtes vous aiment pas. Elles vous sentent avant même que vous arriviez. D'ailleurs moi aussi je déteste la prophylaxie. C'est la pire journée de l'année. Y'a rien que je déteste autant que ça. Je sais pas comment vous faites, moi ça me rend malade. Rien que de vous voir, ça me met de mauvaise humeur, tiens.
- D'accord, bonjour aussi! Ça va depuis l'an dernier?"

Le genre d'étable où on adore venir ramasser des coups de pied.
Et puis à O., il y a le vieux lunatique qui a ses bêtes dans une vieille borde sombre et sale en contrebas de la route qui monte au col de C. C'est plein de merde, jamais nettoyé, on patauge dans quarante centimètres d'une épaisse "boue" (euphémisme, vu que j'ai déjà utilisé le mot "merde" dans cette phrase). On n'y voit rien. On a à peine la place de se faufiler entre le cul des vaches et le mur: quand les coups de pied partent, c'est difficile d'être bien placé... Il y a des poules à l'air hagard, des brebis squelettiques, des vaches mal lunées, des veaux attachés par le cou à un anneau dans le mur, tellement haut qu'il leur permet à peine de se coucher, le tout entassé dans un espace à peine plus grand qu'une chambre de cité u. Pour de vrai! La preuve en images, ci-dessous. Celui-ci, il faut le faire prévenir par un ami ou un voisin ou quelque chose comme ça. Et il ne faut surtout pas le braquer. Il a ces jours (c'est comme ça qu'on dit). Mais il peut être enjoué, aussi. Et loquace. Justement, cette année, je suis bien tombé, il avait envie de parler... Il nous raconte donc que son cheval a des verrues sous la queue, que ça traîne depuis des mois et qu'elles sont énormes. Et pour qu'un propriétaire d'animal vous dise que ça évolue depuis longtemps et que c'est gros...
à ceux qui pensent que j'en rajoute ou que je raconte des salades: des fois, je n'exagère même pas!
En général quand ça a la taille d'un melon et que c'est en sang à force de frotter par terre, ils vous disent "oh, c'est étonnant, c'est apparu il y a quoi, une semaine? allez, deux au maximum". Alors s'il dit que c'est énorme et que ça traîne depuis un moment, c'est que son cheval est pratiquement né avec... Enfin, ça ne poserait pas vraiment problème s'il n'y avait que ça mais, "voyez-vous, ça l'empêche de saillir les juments"! Mon dieu, je ne veux pas imaginer la verrue en question...

- Vous n'avez pas une idée de ce qu'on peut y faire, Docteur?
- Euh, ben là, d'après ce que vous me dites, ça risque d'être dur à récupérer...
- J'ai commencé à mettre du xylophène, pour les volets: on m'avait dit que ça séchait bien les verrues et c'est vrai que ça marche! Vous en pensez quoi? Je continue?
- Attention de pas faire sécher pas le reste du cheval avec, quand même!
 - Oui, oui. Bon, sinon on m'a dit que ce qui marche bien, c'est de mettre un crapaud dans un bocal en verre et de lui pendre autour du cou. Vous l'avez déjà vu faire?
- Euh, non...
- Mon problème, c'est de trouver le crapaud. Je cherche depuis un moment, voyez-vous, je trouve pas.
- Essayez la Chélidoine, alors. C'est un remède des anciens et vous la trouverez plus facilement que le crapaud, elle ne bouge pas. C'est une plante de broussaille et de taillis, à petite fleurs jaunes. Chélidoine. Elle donne un latex amer qui guérit les verrues.
- Calédonie, vous dites? Et ça marche?
- Ché-li-doi-ne. Mais on l'appelle aussi Herbe aux verrues, doit bien y avoir une raison!
-Calédonie, d'accord. Je demanderai. Merci encore Docteur, bonne journée!
- C'est ça. Allez, agur.

Le reste de la tournée se passe sans histoires. Enfin, disons, sans histoires qui méritent d'être racontées. Quand même, grâce à celui-ci qui n'avait que trente brebis à la borde ("Ah bon? Il en faut cinquante? Les autres je les ai au col, dans un parc. Il faut y aller, ou bien? Sinonm vous n'avez qu'à faire la prise de sang sur celles qu'on vient de faire et vous changez les numéros. Qu'est ce qu'on s'en fout... Enfin, moi je dis ça, c'est pour vous. Ça irait plus vite en tout cas..." ) et avec le soutien du club des bras cassés, je finis avec le coucher du soleil, ce qui me permet de me rincer l’œil depuis le col avant de rentrer à la base retrouver Wallis. Merci les gars, à l'an prochain! **

L'avantage avec le Club des bras cassés d'O. c'est qu'on n'est jamais sous la douche ni devant la télé à cette heure-là...


* G.D.S. - groupement de défense sanitaire: associations départementales d'éleveurs qui "veillent au bon état sanitaire des troupeaux, étudiant les risques spécifiques à leur département et aux races du secteur et conseillant les éleveurs sur les conduites à tenir dans un but de prévention : vaccination, hygiène, conditions d'élevage..." (merci Wikipedia pour ce résumé concis). Dans certaines communes, ils nomment un délégué qui aide le vétérinaire sanitaire à organiser la tournée de prophylaxie, voire l'accompagne pour tailler le bout de gras dans la voiture et donner un coup de main souvent providentiel dans les élevages...


** pour aussi invraisemblable que cela puisse paraître, les événements rapportés dans ce post sont tous authentiques: lieux, faits, personnes et conversations sont reproduits ici aussi fidèlement que ma mémoire l'a permis.


Tuesday, February 17, 2015

Bruits de fonds d'étables... (1)

...et autres brèves d'abreuvoirs



Des crues de la Nive et du chien du pont d'enfer.


Comme ça au moins, personne ne pourra dire qu'il n'était pas prévenu!
En descendant le long de la nationale direction Bayonne, à une vingtaine de minutes de Donibane-Garazi, il est difficile de rater le Pont d'Enfer, et son hôtel, que je soupçonne d'être abandonné depuis des années et n'ai en tout cas jamais vu ouvert. La légende raconte que les habitants de Bidarray avaient essayé en vain de rallier les deux berges, juste en amont du confluent de la Nive et du Bastan... Hélas, un lit profond, un fort débit et beaucoup de courant à la sortie d'étroits défilés rocheux avaient rendu la tâche impossible durant des années. De guère lasse, on raconte que les paysans des environs avaient renoncé, s'observant en chiens de faïence et jugeant que décidément, l'herbe était bien plus verte sur l'autre rive. Ce n'est pas difficile à croire aujourd'hui, quand on passe dans le pays en hiver: les cours d'eau sont gonflés par les pluies abondantes qui font fondre la neige des sommets et des prairies d'alpage d'Iraty, d'Ibañeta et d'Izpéguy. À plus forte raison ces dernières années, où les inondations ont cruellement marqué tant le paysage de la Basse-Navarre que l'actualité en Aquitaine. On a vu des troupeaux de vaches et même quelques tracteurs flotter dans le port de Biarritz. En traversant le pont Noblia en voiture (le pont neuf établi à une centaine de mètres en aval du pont d'enfer), on se surprend à retrouver la foi et on prie en silence pour qu'il tienne le coup. Le flot boueux qui charrie troncs, ribambelles de clôtures et autres morceaux de toits de hangars, vient s'écraser contre les piles du pont un mètre à peine sous le tablier. Quant aux berges, les jardins, granges et rez-de-chaussée des maisons attenantes sont sous les eaux jusqu'au bord de la petite route qui mène au bourg.


Le pont d'enfer, sur une carte postale d'antan...
Les gens du coin disent que les marées hautes du mois de mars, avec leurs gros coefficients, bloquent suffisamment l'Adour à son embouchure pour empêcher la Nive d'évacuer toute son eau, aggravant encore les inondations ici, à vingt ou vint-cinq kilomètres en amont. En tout cas, il est midi et je roule au pas de bergerie en bergerie, en espérant que la pluie aura cessé d'ici ce soir: plus critique que le pont Noblia, la nationale à hauteur d'Ossès est souvent barrée par les crues et le détour par Irrissary - s'il est possible - me prendra au bas mot une quarantaine de minutes supplémentaire. Tout ça pour dire qu'il n'est pas vraiment difficile d'imaginer le désespoir et la résignation des habitants du coin bataillant pendant des générations pour bâtir un pont à cet endroit!

La légende raconte que c'est finalement le Diable qui vint proposer son aide pour la construction: en échange du pont dont le nom évoquerait sa mémoire et son ouvrage, il demanda l'âme du premier qui le franchirait... Les villageois acceptèrent sans grand enthousiasme et sitôt le pont d'Enfer achevé, ils envoyèrent un chien sur la belle arche de pierre, l'appelant et l'invitant depuis la rive opposée.
Sans l'ombre d'un doute, le véritable chien du Pont d'Enfer, à Bidarray.
Le Diable furieux d'avoir été si facilement dupé par les Basques ingénieux prit ce qui lui revenait de droit mais laissa l'animal en vie et en proie à un tourment éternel. Ce chien, bien des siècles après, est toujours là au pied du pont d'Enfer, pour rappeler aux habitants de Bidarray comme aux touristes venus du Béarn ou de la côte que tout à un prix. Ce chien, le visiteur curieux pourra le rencontrer et avec un peu de courage s'accroupir pour le caresser: tous les midis, il reçoit les convives du restaurant Noblia en aboyant sur le perron. Il aimerait mordre mais n'en a plus la force, trop occupé qu'il est à soulager sa dermatite chronique et prurigineuse. À qui prend la peine de le regarder au fond des yeux, le doute n'est pas permis: le diable est là, qui rumine sa vengeance...


De la femme-cheval, Monsieur le maire et les gendarmes*.

Celui-ci, je l'a connu il y a quelques années. Un beau spécimen, il faut dire. La première fois, il fait peur. Un peu. Puis avec le temps, on se rend compte qu'il n'est pas méchant. On finit par le trouver attachant, par ressentir une espèce de tendresse confuse. Il habite seul au-dessus du village de M., quelques kilomètres après le bourg sur la vieille route qui monte vers les estives d'Irati. À flanc de colline en lisière de bois, au bout d'une piste sinueuse qui se termine au portail de sa ferme. Exposée plein nord, elle n'a aucun voisin immédiat et pas grand monde dans les environs. Il doit se sentir seul, des fois. Depuis la cour en pente qui sépare sa vieille maison de la petite bergerie rongée par l'humidité, on distingue nettement les exploitations de l'autre côté de la vallée: blanches et rayonnantes sur l'arrondi vert vif des prairies toutes gorgées de soleil. On ne peut s'empêcher de penser en serrant la main de ce vieux garçon soixantenaire, qui vit seul depuis la mort de sa mère, que les cartes ne se répartissent décidément pas de manière équitable.
"Ferme en bordure de bois, frais et ombragé, vue agréable, belles possibilités."
Entre celui qui a posé, il y a trois siècles, la première pierre de sa première borde plein sud sur le versant d'en face et l'arrière-grand-père de celui-là qui a construit là où il restait de la place: dans l'ombre glacée de la hêtraie, les chances de (sur)vivre et de prospérer dans l'abondance et la bonne humeur ne sont pas les mêmes... On se dit que les seules visites qu'il reçoit sont celles de la brume humide qui monte du ruisseau. Il doit se sentir seul, des fois. Mais bon, quand on est rendu là, la voiture garée et les mollets accueillis chaleureusement par les mignons petits crocs de son gentil labrit (c'est pas sa faute, Docteur. Il est gentil mais il déteste les vétérinaires, c'est plus fort que lui), après c'est comme au théâtre. Et faut s'accrocher, parce qu'à peine frappés les trois coups, ça démarre sur les chapeaux de roue:

- Bon bon, vous avez bien fait de venir aujourd'hui parce qu'hier, je ne pouvais pas. Ils ont du vous le dire. Oui, oui, oui, je faisais du bois et il faut pas plaisanter avec ça. D'ailleurs, les bêtes ne pouvaient pas non plus, hier. Vous seriez venu, vous n'auriez trouvé personne. Ça, vous ne seriez pas le premier. Bien bien bien. Ah! Tenez, regardez: c'est que je suis emmerdé, Docteur. J'ai le chien là, il m'a sailli une vache l'an dernier. J'ai tourné le dos cinq minutes et pan! Il l'a engrossée. Et vous auriez du voir le veau. Comme un gros lapin, mais sans les poils, qu'elle m'a fait. Avec de petites oreilles très en arrière. C'est terrible, ça. Je ne l'ai pas gardé. Non non! Pas de ça ici. Et depuis, elle reste vide. Rien à faire. Elle ne vaut rien, regardez là. Elle est maigre, oh la la! Enfin... On n'y peut rien, c'est comme ça. c'est difficile de ganger sa croûte, ah ça! Bon, tant que les Gendarmes ne l'apprennent pas. Toujours à chercher un prétexte pour venir ici. Et dans mon dos, en plus. Bon bon bon. Je ne vous ai jamais vu, vous êtes stagiaire? Non? Étudiant, alors? Remarquez, ça m'est égal, je préfère: ceux de la clinique, là, ils ne montent plus trop ici. Enfin, pas quand je suis à la maison, si vous voyez ce que je veux dire... Mais les gendarmes leur téléphonent quand je suis sorti. Et alors, c'est une autre histoire, hein! Vous m'avez compris... C'est pour ça que quand je pars au bois, je ne le dis à personne. Tenez, vous la voyez cette brebis? Qu'est-ce que vous en pensez, Docteur? Elle va en crever, ou quoi? Elle boit le lait des vaches, c'est du poison pour elle, non? Ils m'ont dit ça, oui. Qu'elles en crèvent si elles le boivent. Qu'est ce que vous en pensez: elle est foutue? Pourtant elle m'a fait l'agneau et tout... Autant que je la saigne. Au moins, ce sera pour les vautours. Pas question d'appeler l'équarrissage: ils sont de mèche avec les Gendarmes! C'est le Maire qui les avertit. Et je ne veux pas qu'ils me la bouffent, cette brebis. Ils seraient trop contents: il faut payer pour qu'ils l'emportent, et en plus ils la bouffent tous ensemble.Et ils boivent à ma santé après, vous pensez! Bon, on en a fait combien, là? Cinquante, non? Ah bon? Seulement quatorze? Et il faut en faire cinquante, vraiment? C'est obligatoire? Parce qu'elles sont saines vous savez... Enfin, si c'est la loi. Elles sont pas malades mes bêtes. Non, pas celle-là. On va la laisser. Elle m'a fait de la fièvre la semaine dernière, quand elle a avorté. Vous comprenez: ça risque de fausser vos analyses, là. Venez, on va faire sur une autre plutôt. C'est pareil de toutes façons, elles vont bien. Elles sont pas malades. Certaines sont un peu maigres, mais elles vont bien. C'est qu'on est pauvres, nous autres. Ah ça, j'ai vendu les agneaux vendredi, mais le Maire m'a pris tous les sous! C'est une fripouille, je vous dis. Le coquin, il sait quand je vends les agneaux. Et il va à la Poste le lendemain. Il fait un chèque et il imite ma signature, comme ça, il prend tous mes sous. Je le sais bien qu'il fait ça: j'ai vu les chèques... Alors c'est sûr, faut pas traîner: faut sortir les sous avant lui et les cacher à la maison. Avec quoi vous croyez qu'ils ont refait toutes les routes de la commune? Avec mes économies! Ah la la. Le Maire et les Huissiers, des sacrés fripouilles... Ça parle bien, ça passe dans le journal, mais alors il faut voir! Voilà, là: on va prendre celle-là. Elle m'en a fait deux cette année, c'est une bonne brebis. Qu'est ce qu'elle mange, par contre. Parce que la fougère, c'est bon pour pailler mais pas pour manger. Je n'ai pas le choix, y'a pas assez de foin en cette saison. C'est à cause de la femme-cheval. Quand elle descend de la montagne, au printemps, elle vient manger mon foin. Elle va tout droit à la grange et elle mange le foin. Je l'ai vue plusieurs fois en lisière du bois. Elle me connait, elle le sent. Elle reste là, à une distance. Elle me regarde. Moi je ne m'approche pas, ah ça, je suis pas con, Docteur! Je sais bien ce qu'elle veut, la femme-cheval. Mais on me la fait pas à moi! J'ai déjà assez d'ennuis avec les Huissiers et le Maire.
Et puis ça, c'est sans parler des vétérinaires. Ils viennent quand je suis sorti. Ils en profitent: ils se mettent tous à table et ils mangent mon fromage. Je le sais, je les ai vus souvent. Le chauve avec la moustache et l'autre là, comment il s'appelle? Mais si, vous savez... Une fois, j'étais sorti au bois. Je suis retourné sans faire de bruit, par derrière et j'ai bien vu par la fenêtre de la cuisine: les vétérinaires, le Maire et les Gendarmes! Ils étaient tous à table, en train de manger le fromage! Et ma bouteille de vin. Alors à moi, maintenant, on me la fait plus... Bon. On a fini là? Combien il en manque? Huit? Et c'est la peine, vraiment? Bon bon bon. Oh, c'est vous qui savez, Docteur. Nous autres on a pas fait d'études. On n'est pas allé à l'université. Enfin, on est pas dupes quand même! On sait bien comment ça fonctionne... Les politiques, c'est magouille et compagnie. On regarde la télé et ils en profitent pour piquer les sous. C'est pour ça qu'ils ont mis leur machin, là, l'antenne et tout ça. Ils nous piquent les sous quand on regarde la télé. Bon bon, on a le compte. Oh, si vous le dites alors, c'est bien. Il faut signer? Attention, parce que je ne paierai rien, je vous préviens! Vous faites ce que vous avez à faire mais je ne paierai pas, hein. Voilà. Les vétérinaires m'ont déjà pris bien assez. Bien bien bien. Merci, Docteur. Oui, c'est ça. Au revoir. Oui, oui. Ah ça, mais... Geldic! Couché! Asta pitois mais il est con, ce chien. Non, non. Il est pas méchant. Il vous aime pas, c'est tout...*

Tout compte fait: non, il ne doit pas se sentir seul.
D'ailleurs, il n'est pas seul.
Du tout. Jamais.



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* pour aussi invraisemblable que cela puisse paraître, les événements rapportés dans ce post sont tous authentiques: lieux, faits, personnes et conversations sont reproduits ici aussi fidèlement que ma mémoire l'a permis. malheureusement, je n'ai pas de photos de la femme-cheval, du petit de la vache et du chien, de la brebis empoisonnée au lait de vache ni du banquet des Gendarmes et des vétérinaires, ça aurait aidé à digérer le tout...