Tuesday, February 4, 2014

back au pays basque! (chapitre premier)

Après un weekend (gris) de retrouvailles (ensoleillées) et de bonnes bouffes aux coins des feux, et après une étape en terre et en bonne compagnie paloises - voir le post précédent en cas de doute - nous voici finalement de retour à SJPP pour quelques semaines de prophylaxie sanitaire. Pour ceux qui ne seraient encore habitués ni à cette-notre parenthèse hivernale en Iparraldea, ni au mot barbare de 11 lettres qui jouxte "sanitaire" deux lignes plus haut, il s'agit d'un travail saisonnier que nous effectuons pour le compte des vétérinaires d'un cabinet du pays basque. L'hiver, quand le bétail est dans les vallées et passe le plus clair de son temps à l'intérieur, on en profite pour réaliser une série de contrôles sanitaires et/ou de traitements obligatoires: dépistage sérologique des maladies réglementées (principalement les zoonoses, i.e. maladies animales transmissibles à l'homme et qui représentent donc un enjeu pour la santé publique) et traitements anti-parasitaires. Pour simplifier, une prise de sang pour les brebis adultes, dans la limite de 50 par troupeau et une prise de sang parfois accompagnée d'une ou deux injections pour tous les bovins âgés de plus de 2 ans. Quelques certificats de transhumance ici et là et une ou deux prises de sang de typage génétique des béliers destinés à la reproduction (dans le cadre d'un programme d'éradication de la Tremblante du mouton). Ça, dans toutes les fermes de toutes les communes de la clientèle du cabinet. Autrement dit, beaucoup, mais alors vraiment beaucoup beaucoup beaucoup de petits tubes de sang… Pendant la durée de notre contrat* ici, on loge à la clinique: un grand et beau bâtiment flambant neuf à l'entrée de SJPP (ou à la sortie, ça dépend évidemment d'où l'on vient et où l'on va) avec une petite chambre de garde, une mini-salle de bain et un espace à vivre avec coin cuisine. Douche chaude, chauffage, wi-fi et four électrique, autant dire le bonheur version 5* Grand Luxe pour les nomades analogiques d'Un(t)raveling! Il faudra revenir plus tard sur la notion de nomades analogiques, mais vu le mouvement de masse des digital nomads qui saturent le web de twits, blogs et autres success stories, on vient de décider au pied levé d'inventer le contre-courant des analog nomads: ne nous cherchez pas sur Twitter, ne nous suivez pas sur Facebook! Mais revenons au sujet de ce post: notre arrivée et notre séjour saisonnier en pays basque. La basse Navarre fait rêver, le vert basque est une valeur qui s'exporte, la pierre s'arrache à prix d'or et la moitié de la France (d'en haut) qui n'a pas encore sa résidence secondaire ici y pense sérieusement. Pour nous, l'amour du pays basque commence à la fenêtre de la chambre, avec vue sur les montagnes d'Iraty, les crêtes d'Iparla et le pic de Béhorléguy. La preuve en images:

de la fenêtre de la chambre... ma vieille branche de campagne, le vert basque et le piémont enneigé.
Milieu d'après-midi, l'ombre de l'arbre solitaire s'étire petit à petit. La foudre l'a frappé il y a quelques années mais il tient bon. On l'a connu rond et symétrique, parfait, archétypal. On le préfère marqué, bancal et tordu, touchant. Je crois que c'est Léonard Cohen qui a dit: "There is a crack in everything. That's how the light gets in"... Retrouver cet arbre chaque hiver, par la fenêtre, c'est un peu comme retrouver un vieux pote. Mais ce n'est pas tout ce qui nous attire ici. Il y a plus, beaucoup plus... Ceux qui me connaissent un peu ou qui m'ont, au moins, vu ou parlé dans l'heure qui suit le réveil, savent que s'il y a une chose que je ne suis pas, c'est bien "du matin". Pas la peine de se demander si c'est bien ou mal, c'est comme ça.
un peu plus loin vers le sud, avec Iraty à droite, dans le fond.
SJPP est pourtant l'un des rares endroits où la sonnerie du réveil n'est pas la chose la plus triste ni la plus incongrue. Tout simplement parce qu'en ouvrant un oeil et en appuyant du bout d'un orteil sur l'interrupteur du store électrique de la fenêtre de la chambre et tout en ayant encore une bonne majorité du corps sous les couvertures, j'y suis encore en mesure de tendre le nez et de voir ça:

Ou ça, si je tends le cou en plus du nez, histoire de regarder non plus au sud, mais à l'est, le long de la ligne téléphonique et de la grand-route, jusqu'au Pic de Béhorléguy (1265m):
et plein est, le pic de Béhorléguy au levant.
Sa cime en crête de dragon, petite mais imposante, est ronde vue de côté et dangereusement pointue vue de face. Elle se couvre occasionnellement d'une neige fraîche que le vent soulève en nuées comme s'il s'agissait de quelque sommet himalayen d'un autre calibre. J'aime cette façon qu'a le Béhorléguy de jouer à la haute montagne un peu comme certains teckels aboient: pour se donner de l'importance ou pour se rassurer. Mais bon, en attendant, à 7 heures du matin, pas la peine de passer des heures sur photoshop pour fabriquer une palette en tons pastels. Avec ça, je suis prêt pour avaler un café accompagné de quelques tartines, puis pour affronter une journée (excusez du peu) à patauger dans le froid et la merde de vache. Ou de brebis. Mais je reviendrai plus tard sur la teneur exacte, pour ne pas dire la saveur, de nos activités de vétérinaires sanitaires.

(petite parenthèse: j'avais déjà décrit ce travail il y a quelques années (2009) dans un article intitulé Un dia en la vida (de un veterinario sanitario de ganado). Comme son titre le laisse craindre, il est en espagnol (Ford me pardonne). Si j'ai souri en le relisant, j'ai aussi mesuré que le temps a passé et que l'aventure quotidienne est finalement moins traumatisante et plus agréable avec les années. Tous les éleveurs ne me (re)connaissent pas encore et leur question préférée est toujours "vous êtes stagiaire ou étudiant?", ce qui est flatteur pour mes 35 printemps et mes cheveux qui tirent chaque jour un peu plus sur le sel que sur le poivre. Mais les faits sont là: je me perds moins, je m'énerve moins, je me fais moins mal et tout ça est maintenant presque une affaire qui roule. Je sais que pour avoir osé écrire en noir sur blanc que je m'en sors pas mal, je vais passer une semaine terrible. Ce n'est pas de la superstition, c'est la merveilleuse école d'humilité de la vie quotidienne... Enfin, il y avait là-dedans quelques vrais morceaux de considérations quasi-quantiques et plutôt fumeuses dignes d'un Tao de la prophylaxie sanitaire façon café du commerce. Il faut blâmer la personne qui m'avait mis, alors, El poder del ahora d'Eckhart Tolle entre les mains! Et puis, enfin, ça vaut pour ce que c'est: une petite vérité particulière. Fin de la parenthèse)


En définitive, on revient ici pour la lumière (ou pour son absence), d'abord. Pour le soleil, qui plus qu'ailleurs nous invite à le suivre. Pour le levant, pour le couchant et pour chaque heure de sa course au-dessus de nous. Comme chante si bien Camille: "Entends-tu? m'as tu dis / Le chant du monde, alors depuis / Quand l'aube se lève, je la suis / Et quand la nuit tombe, je tombe aussi"...
jour gris. au détour du chemin, le couchant... bon matin!
Et puis, pour tout ce qui y vibre: les bêtes, les arbres, les pierres et les hommes. Toutes et tous y ont leur place, leur rythme et leur couleur. Ce qui frappe ici, plus qu'ailleurs et mieux qu'ailleurs, c'est l'intégration de l'activité humaine dans l'espace naturel, son harmonie. Le rouge sombre des fougères brûlées par l'été grimpant à flanc de coteaux qui tranche sur le vert des prés pacagés ; cette frontière qui ne tient qu'à un fil: kilomètres de clôtures tout ébouriffées de laine ; le blanc des maisons sur l'ocre de la pierre des bordes ; toutes les nuances de gris des arbres en hiver ; et le bois doré des mangeoires, des auges et des portails, patiné par les années et le suin des toisons, qui est chaud et doux sous la paume...

auprès de ma blonde...
de bois, de pierre, d'ombre et de lumière. accrochant follement aux herbes des quoi?

L'hiver et le printemps sont ici une retraite, un cadeau. Et une piqûre de rappel. Voyons si j'arrive à m'expliquer un peu, à développer ça, à l'ordonner. Pas gagné... Surtout, ça risque de prendre plus d'un post. Heureusement, on a tout notre temps. Un(t)raveling c'est aussi l'envie d'aller moins vite. Et moins loin. D'éviter les autoroutes: celles des cartes Michelin et celles de l'esprit. Ne pas vouloir arriver avant d'être partis, non plus. Bref.

Depuis 2008, le pays basque m'a offert cette occasion unique de me mettre au vert, de fuir Barcelone pour quelques semaines, un mois, deux tout au plus. De vivre avec le soleil: levé à 7 heures, couché à 22. Occasion unique aussi de travailler en extérieur, au grand air et à la campagne, en me déplaçant, en y rencontrant des être humains et en y côtoyant des réalités, des problématiques et des questions auxquelles on n'a que difficilement accès "en ville". Sensation magique pour un col blanc: être épuisé le soir, sentir le corps qui tire, les muscles fatigués. Comme dans un livre de Giono. Ce n'est pas par hasard que je parle de lui, dont la Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix est avec moi et m'accompagne depuis quelques années chaque fois que je suis ici, tellement actuelle pas loin d'un siècle maintenant après qu'il l'a écrite...
de la fenêtre de la voiture: la pause casse-croûte.
Chaque fois que je mets le cap sur SJPP, j'ai la sensation d'être un peu plus en phase, un peu plus en paix. Un peu plus lucide et un peu plus révolté, aussi. Ce qui n'est pas incompatible avec le précédent, au contraire. En phase et lucide, en paix et révolté. Cet hiver nous nous installons pour quelques semaines avec Wallis, pour une des premières étapes de l'aventure Un(t)raveling. Tout y est nouveau et tout y devient un jeu: le quotidien à la clinique ; le travail à deux ; les éleveurs et leurs bêtes ; le travail ; le froid, la pluie, le vent, le stress ; les conversations sur la route ; le casse-croûte dans la voiture en écoutant France-Inter, fenêtres ouvertes sur les montagnes ou au contraire chauffage à fond et vitres embuées... Tout y invite à être présents, les yeux grands ouverts. Tout appelle à respirer à fond et absorber chaque seconde de la journée, même celles dont on se passerait volontiers. Et ça nous murmure un peu, en dedans, à voix basse, que c'est ce qu'on veut: être près du sol, être en mouvement, être chez nous partout, à petite vitesse, à la rencontre du monde. Et voyager léger. La suite bientôt avec plus de photos d'ici et le reste de nos aventures vétérinaires à SJPP, une journée parmi d'autres, la relation avec les éleveurs et tout ce que je voulais dire en parlant de la piqûre de rappel...



* contrat: Un(t)raveling est un projet qu'on veut auto-financer sur et depuis la route. Cette question de l'économie, ainsi que toutes celles que l'on entend depuis quelques mois ("mais comment vous allez faire sans travail? vous devez avoir des économies, non? vous pensez dépenser combien? vous êtes riches ou bien? avec cette crise, c'est raisonnable de voyager? vous allez vivre de quoi?" etc.), on est en train d'y apporter des réponses dans la section about un(t)raveling.

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