Friday, February 21, 2014

back au pays basque! (chapitre second)


ou Bienvenue à l'etchealdea, une aventure dont vous êtes les héros.


"ceux qui sont vieux dans le pays le plus tôt sont levés, à pousser le volet, à regarder le ciel..." St John Perse, éloges
Nouvel épisode de nos aventures en Iparralde: après un post en espagnol on revient au français. C'est d'ailleurs l'occasion de signaler qu'il y a désormais au bas de chaque page des liens vers les traductions automatiques de google. En cliquant sur le drapeau correspondant, tous les contenus sont accessibles en espagnol, français et anglais. Le résultat est ce qu'il est ; si on comprend à peu près toujours le message, il y a des tournures ou des phrases entières qui font sourire. C'est un peu comme lire la notice d'utilisation de n'importe quel dispositif ou appareil fabriqué en Chine. Heureusement, en définitive, que les traducteurs automatiques n'ont pas encore fait disparaître un corps de métier auquel nous nous efforçons, même si ce n'est que sporadiquement, d'appartenir. Et puis, de temps en temps, google translator nous régale d'une de ces petites perles de poésie surréaliste dont il a le secret. Un(t)raveling lui-même devient un (t) effilochage et je me dis en le lisant qu'une bonne fois pour toutes, il va falloir qu'on termine et publie la page sur le projet, son nom, son but. Aïe aïe aïe, le but du projet. Comme si on comptait demander un finacement de la Commission Européenne et qu'il fallait justifier tout ça... Comme dit Bill Hicks avant de conclure sur Life is just a ride: "Is there a point? There must be a point. Let's find a point..."

Bref. Tout commence de bonne heure, après un bon petit déjeuner et une révision rapide du contenu du coffre de la voiture: tubes, aiguilles, sacs plastique, porte-aiguilles, pastilles de javel, paperasse, casquette de chasseur, stylos, gants de fouille, quelques seringues et quelques médicaments, élastiques, gourde d'eau, appareil photo, un seau... On démarre avec Patrick Cohen et le chauffage, on roule en direction de la première maison et là, pour la toute première fois de la journée, on se gare dans la cour, au plus près de ce qui semble être la bergerie. Cette scène se répétera une bonne dizaine de fois au cours de la journée, d'ailleurs.


Phase 1: s'annoncer:

On coupe le moteur, on klaxonne deux petits coups secs en espérant que ça transmette un je-ne-sais-quoi de jovial et primesautier ; surtout pas la sensation qu'on est pressés. On descend de la Yaris et on attend là, plantés en plein milieu de la cour avec les deux ou trois chiens qui aboient à tue-tête et nous reniflent les bottes, les jambes ou directement le, enfin bon, pas la peine de faire un dessin...
pendant ce temps, la Manech broute.
Dans le scénario le plus classique, il ne se passe absolument rien! La voiture a fait son entrée, les chiens ont fait un raffut de tous les diables (d'ailleurs ils continuent. Et si en plus ils sont attachés, leur chaîne fouette le sol, les murs, le godet du tracteur ou le réservoir de fuel éventré qui leur sert de niche ; elle fait donc un raffut de tous les diables, elle aussi). Il est genre 8h20 du matin et à deux kilomètres à la ronde, tout le monde sait qu'on est là. Curieusement, ici, pas un mouvement. Et cette sensation de western spaghetti ou de série B que l'on est observé depuis les fenêtres, que des ombres glissent derrière les rideaux en crochet de la cuisine ou du premier étage... On tourne en rond, on reklaxonne, on cogne le marteau de porte, on sonne à la sonnette, les chiens en remettent une couche et personne n'apparaît. En général, la cheminée fume et il y a trois ou quatre voitures garées alentour: un C15, une petite berline française (clio, 306, C3 ou équivalente), un 4x4 et souvent une collection de vieilles R5, 205 et Visa défoncées, bouffées par la rouille ou directement recouvertes par le tronc d'un arbre abattu lors de la tempête de 2004... Donc, trois ou quatre voitures devant la maison, tout le vacarme possible et imaginable pour signaler notre arrivée, du feu dans la maison et souvent un bruit de télé ou de radio qui filtre par la fenêtre de la cuisine. Pourtant, personne n'apparaît. De l'autre côté de la clôture, les brebis, elles, s'en foutent comme de leur première éponge. A ce stade, il y a plusieurs options parmi lesquelles on choisira:

  1° de prendre le portable pour appeler directement la ligne fixe de la maison.
  2° de sortir un appareil pour faire une photo du chat qui dort sur un pneu sous la fenêtre du garage.
  3° de faire mine d'ouvrir la porte de l'étable ou de la bergerie.


1° après quelques sonneries que j'ai parfaitement entendues depuis dehors, une voix frêle et méfiante me répond. Je vais très vite à l'essentiel: "Oui, Mme Etcheparegoyensallaveriamendibordagoreluku? Bonjour, le vétérinaire là, oui, ça va? Oui, booooon. Je suis devant la maison là, oui, pour les prises de sang. Oui, vous allez avertir le patron? Oui, c'est ça, bien bien bien. Oui, le vétérinaire, oui, pour les prises de sang. C'est ça, oui, j'attends, trèèèèès bien. Voilà voilà, oui, merci". S'il ne s'est rien passé au bout de dix minutes, revenir à l'étape précédente et essayer une autre option.

rare photo d'un chat-de-berger au travail
2° au moment précis où le chat est cadré, qui cligne des yeux sur son pneu, les poussières de paille dansant dans un rayon de lumière matinal autour de lui, la fenêtre de la cuisine s'ouvre et une mégère acariâtre aboie "On peut savoir qu'est ce que c'est dont vous faites la photo de quoi ici, hein alors non mais des fois?". Il faut rattraper la situation au plus vite: parler trop fort, avoir l'air jovial et de préférence un peu con (on n'a pas toujours le choix, mais comme dit la sagesse populaire, "on ne choisis pas la tête qu'on a, on est responsable de la gueule qu'on fait"), sourire niaisement et jouer au vétérinaire sensible au grand cœur qui aime vraiment les animaux et qui, à ses heures perdues, prend les photos pour le calendrier du facteur. Si on est convaincant, elle acceptera peut-être d'avertir le patron, non sans nous avoir traité "d'artiste", insulte suprême dans ces contrées. Dans le cas contraire, revenir à l'étape précédente et essayer une autre option.

3° à l'instant où je pousse la porte de l'étable ou de la bergerie, une ombre apparaît dans mon angle mort et un éleveur me regarde avec méfiance. Il faut rattraper la situation au plus vite: faire volte-face, sourire en tendant la main et saluer en parlant un peu trop fort: "Ah ah! Egun on egun on! Bon, bon, ça va?"



Phase 2: briser la glace:
La question "Bon, bon ça va?" nous a permis de gagner du temps et d'établir un contact verbal, c'est bien mais ce n'est pas gagné pour autant. L'éleveur aura en principe accepté la main tendue, qu'il aura serrée soit avec une force hors du commun et la claire intention de nous briser quelques-uns des petits os inutiles et délicats enfouis entre le poignet et les doigts, après tout il est basque et a une réputation à défendre, soit avec une mollesse tiède, voire moite, qui dénote son aversion pour les vétérinaires et les étrangers en général, pour la visite de prophylaxie sanitaire en particulier. Plus rarement, prétextant qu'il a " plein de cambouis" ou carrément "de la merde" sur la main, il tendra le poignet, qu'il faudra alors étreindre d'une main décidée avant de le secouer comme si l'on voulait, justement, le débarrasser de l'hypothétique cambouis ou de l'hypothétique merde. Pendant ce temps, il faut être très attentif à sa réponse à la question posée: elle conditionnera le reste de l'échange. Comme aux échecs, voici les ouvertures les plus classiques:

- Egun on! Bon, ça va?

- On fait aller... Démarrage en douceur, ni trop ni trop peu, c'est soft.
- Comme le temps. Ambigu et élégant, tout en finesse. Interprétation à la discrétion de l'interlocuteur. Attention quand même à ne pas sur-interpréter.
- Humidement (ou Froidement. Là aussi, éviter de surenchérir, s'apitoyer, ou se plaindre!)
- Mieux que le temps! Attention terrain glissant! Semble positif mais peut facilement déraper en une longue litanie sur ce maudit hiver trop sec, trop humide, trop froid et trop doux à la fois.
- Oh, comme un petit vieux Ne pas s'apitoyer, ne pas dramatiser. Rester sobre.
- Et là? Bouclier magique! Retour à l'envoyeur. Tiens, tu voulais savoir, maintenant danse!
- Pas aussi bien que vous, Docteur. Pan! C'est foudroyant et pratiquement imparable. La lutte de classes s'est invitée en plein milieu de la conversation, on n'a pas eu le temps de dire ouf...
- Vous êtes du coin? *Celle-là aussi, elle est puissante: ne répond pas à la question, en pose une autre à la place et prend l'initiative direct. Accroche-toi, étranger, va y avoir du roulis!

Personnellement, je pioche ma réponse suivant l'humeur du moment, entre "On fait aller" (neutre et expéditif), "Bien, avec ce beau temps!" (qui marche bien accompagné d'un sourire bête quand il pleut à torrent) et "Bah, ça a déjà été plus mal" (avec un petit sourire en coin, ça les laisse perplexes en général).


* Cas particulier du "Vous êtes du coin?" ou "Vous êtes du pays?": que ce soit bien clair, faire de l'esprit ne vous sauvera pas. "Il s'arrête où le coin?", "Il va jusqu'où le pays?" et autres réponses du genre ne permettent que de gagner du temps. Tôt ou tard, il faudra avouer de toutes façons. Ne pas dire Non trop facilement, mais ne pas nier l'évidence non plus. Comme souvent, le consensus mou est un juste choix. On évitera absolument les explications fumeuses du genre: la femme de mon arrière-grand-père avait connu une fois un boucher d'Hasparren, quand elle revenait de la foire aux bestiaux à Saint-Palais et ils avaient gardé contact quand son premier mari était mort à Verdun, alors on ne pas tout à fait exclure que mon propre grand-père maternel soit justement moitié basque, ce qui revient à dire que d'une certaine façon je suis un peu d'ici..."



zen ou l'art de rentrer quelques brebis dans une borde pour leur prélever quelques gouttes de sang...

Phase 3: tisser des liens:
Bon, l'échange a démarré, on est entrés dans la bergerie et dans le vif du sujet. L'éleveur va maintenant demander si on "vient de commencer" et ce, qu'il soit 9 heures du matin ou 4 heures de l'après-midi. Puis il tâtera le terrain pour savoir comment on pense faire le travail: "On fait ça où?", voire "On fait ça comment?". J'ai sûrement l'esprit mal placé mais j'ai toujours la tentation de répondre l'air goguenard "Oh, je suis prêt, faisons ça là-même, contre cette balle de foin". Passons. De toutes façons, cette question est rhétorique, comme nous le verrons plus bas. "Comme vous voulez" est sans contexte la seule réponse acceptable. Question incontournable suivante: "Il vous en faut combien?" (sous-entendu, des brebis). Depuis 6 ans que je fais ce travail, il nous en faut TOUJOURS cinquante! Pas trente-sept ni soixante-quatre, ni même  vingt-six pour cent du cheptel, non. Cinquante. Passons sans plus tarder à la question incontournable suivante: "Vous êtes stagiaire ou vétérinaire?". Astapitoi! J'ai donc l'air d'avoir 22 ans. C'est flatteur ou bien? Seule exception à la règle, qui en dit long sur la mentalité des éleveurs du coin (et sur leur intégration de la très à la mode théorie du genre), lorsque je suis accompagné de Wallis: Futuna, jusqu'alors stagiaire à la barbe pourtant grisonnante, devient instantanément "Monsieur le vétérinaire", tandis que Wallis est automatiquement MA stagiaire, MA secrétaire ou mon ÉTUDIANTE. Personne n'aurait l'idée saugrenue de penser que nous sommes deux vétérinaires, encore moins qu'elle est vétérinaire et moi SON stagiaire, SON secrétaire ou SON étudiant! Il ne faut pas s'énerver, c'est comme ça. Les commentaires typiques sont dans ce cas: "Vous êtes bien accompagné!" "Vous avez amené du renfort? eh bin, vous avez pas pris n'importe quoi!"... Bon, à ce stade, on décide lequel des deux va faire les prises de sang. Si c'est Futuna, on les conforte dans leur idée du vétérinaire qui est venu avec sa secrétaire. Si c'est Wallis, on les conforte dans leur idée du vétérinaire qui laisse travailler sa stagiaire. On n'en sort pas. On ne les changera pas, non plus. À moins peut-être de commencer dès l'école maternelle: je pense par exemple à d'énormes sexes en peluche aux couleurs vives que l'on montrerait aux enfants pour leur apprendre à se masturber en lisant des livres où Papa porte une robe... Mais, non, ça ne marcherait probablement pas non plus. Rendons ces fantasmes troubles à qui de droit(e) et revenons à nos brebis!


Phase 4: en découdre:
Les éleveurs ont généralement une idée très arrêtée de la bonne façon de faire. C'est ce qui rend si piégeux le "On fait ça comment?" Parce que de toutes façons, ils savent déjà comment on fera ça et la question ne sert qu'à vérifier si le vétérinaire a la bonne réponse: la leur. L'objectif est de réaliser 50 prises de sang à la jugulaire (à l'encolure, donc) sur 50 brebis en un minimum de temps. En moyenne, il faut avoir bouclé toute l'opération (entre sortir de la voiture et remonter dans la voiture) en 30 minutes chrono et ce n'est pas gagné d'avance, comme nous le verrons plus bas. Pour cette étape, il y a grosso modo 3 façons de faire, chacune avec ses variations:

 - à la salle de traite: on les fait entrer et on les attache en salle de traite, grâce à l'aliment qu'elles y reçoivent. Ici, on peut soit les détacher une par une, le vétérinaire étant dans la fosse ce qui lui permet de faire la prise de sang sans se péter le dos (c'est la classe), soit les faire par devant les mangeoires et là c'est l'enfer: accroupi, cassé en deux, coincé contre le mur dans une rigole jamais balayée, avec la brebis super basse qui veut manger, qui tire en arrière et avec l'attache de traite qui lui comprime le cou et la jugulaire donc ça pisse le sang quand on retire l'aiguille et c'est l'horreur. En résumé, la salle de traite c'est tout ou rien. Et toutes les 24 brebis (12 de chaque côté), il faut re-remplir la salle donc on perd du temps... c'est à double tranchant, en définitive.

 - à l'attache: on leur met à manger dans de longues mangeoires avec des niches pour le cou et un système de blocage, donc elles se bloquent pour manger et ne peuvent plus s'échapper. Ici, soit l'éleveur les détache une par une et les tient, on s'accroupit et on fait la prise de sang, la vitesse d'exécution dépendant principalement de la bonne volonté et de l'enthousiasme de l'éleveur (ça veut tout dire), soit elles restent attachées et il faut se pencher par-dessus le tapis de nourrissage pendant que quelqu'un leur tire le cou. Là, c'est toujours inconfortable et pète-dos, mais le résultat dépend du bon vouloir de l'éleveur et on peut y passer des heures... c'est à double tranchant en définitive.

un exemple de parc de contention à brebis improvisé... mais avec vue!
 - à la choane: les brebis sont en liberté dans un espace de volume variable (bergerie, cabane, borde, hangar, parc, enclos, pré, jardin du cimetière, terrain de rugby attenant à la ferme etc.). Il s'agira de "les serrer" dans un espace plus petit, pour pouvoir les attraper une par une sans trop batailler.
Pour ce faire, l'éleveur dispose de plein d'outils et armes qu'il utilisera selon son expérience: chiens de berger, portiques, barrières mobiles, palets, mangeoires, bâtons et ficelles en tous genres, portes en tôle, portails en fer rouillé, sommiers de lits de camps, bassine, 10 mètres de corde, sifflet, tracteur etc. Typiquement, les brebis ne SONT PAS des gaz parfaits. Elles n'occupent JAMAIS uniformément l'espace dont elles disposent... On les serre un peu, elles se serrent beaucoup. On les serre à confluence, elles se montent dessus, s'étouffent, s'entre-tuent et finissent immanqua- blement par renverser la clôture, péter la barrière, arracher la ficelle qui tient le portail et s'échapper. Il faut donc recommencer. On "les (re)serre", donc. On fait des nœuds avec des bouts de ficelle et le tout, non seulement parait très confus, mais encore a l'air de tenir... Deux options s'offrent alors à l'éleveur: il peut les libérer une par une, ce qui suppose d'avoir une ouverture ou un élément mobile faisant office de porte. Tôt ou tard, elles s'échapperont donc par là. Il peut aussi ne pas les laisser échapper et il faudra donc "les marquer" à l'aide d'un "marqueur de peinture". La question invariable de l'éleveur dans ce cas est "Vous avez un marqueur de peinture avec vous?". Si l'on répond non (nous, on répond non), ils soupirent et ils en sortent un de leur poche. Les bordéliques n'ont jamais de marqueur de peinture sous la main, ou il est fini, ou ils en ont un qui - ironie du sort - ne marque pas. Ils utilisent donc un spray antiseptique bien connu qui laisse une marque bien visible... Passons. Si les brebis sont déjà serrées quand on arrive et la stratégie bien définie, ça peut aller très vite. Si le palet est plus court que la travée et que les bouts de ficelle pètent plusieurs fois, ça peut durer des heures... c'est à double tranchant en définitive.

Et puis soudain, on est en situation: l'éleveur nous présente des brebis et "on les pique". Une des situations qui reviennent régulièrement, c'est celle de l'éleveur qui attrape une brebis, la regarde, la relâche et s'en explique "Non, c'est que celle-là est vieille, elle m'a fait une infection le mois dernier, je lui ai donné la piqûre et je ne veux pas que ça fausse les résultats de l'analyse". Fausser les résultats de l'analyse? Que voulez-vous dire? Vous ne voulez pas qu'un animal malade risque de fausser les bons résultats d'analyse de votre troupeau où toutes les bêtes sont en bonne santé? Bon, de toutes façons la brebis est déjà partie en boitant se mélanger au reste du troupeau... Piquer seulement les animaux que l'on veut bien vous présenter, c'est le cœur du métier et il faut le faire avec amour. Si la taille, la race, l'état d'hydratation et d'engraissement et la couverture laineuse de la brebis sont importantes pour réussir la prise de sang (du premier coup et en 4" s'entend), c'est sa position et donc la qualité de la contention réalisée par l'éleveur qui est primordiale. 
"y'a qu'à prendre la barrière pour les serrer!"
S'il tire le cou, le tord, le plie, s'il soulève la brebis, la chope par les cornes, l'écrase, s'il agrippe la laine ou met sa grosse main juste sur le cou "pour nous aider", la veine jugulaire s'enfonce entre les muscles et c'est difficile. S'il bouge, transpire, crie ou tord la brebis pour observer et opiner, c'est difficile. S'il n'a pas envie et la laisse se coucher, s'affaler ou se débattre, c'est difficile. Si aucun de ces cas de figure ne se présente, c'est un jeu d'enfant et on peut même blaguer en travaillant... Maintenant, si un seul de ces facteurs intervient (et je ne parle même pas du cas pourtant fréquent de la vieille brebis maigre et déshydratée, mal tenue, avachie, le cou tordu sur le côté et tiré vers le haut, dont la laine de l'encolure forme des paquets genre dreadlocks pleins de fougère et de genêts, dans le fond d'une borde obscure), ça se complique un tantinet. Et là, vous aurez droit à LA blague préférée de TOUS les éleveurs, qui ne reconnaîtront JAMAIS que certains facteurs autres que la compétence du vétérinaire peuvent entrer en jeu, et surtout pas ceux incluant leur gestion de l'élevage, de l'alimentation, du bien-être animal, des facteurs d'ambiance, de la contention etc etc. LA blague préférée de TOUS les éleveurs c'est la suivante: sourire ravi ou carrément hilare, il vous dit:

"Alors? Elle a pas de sang?" (rires)

Et il se met à rire, tout seul ou accompagné de TOUTES les personnes présentes. Parce que bien sûr, hein, c'est pas possible parce que si elle avait pas sang elle serait morte, hein! Ah ah ah ah ah! Cling! L'assemblée est hilare. Le problème, c'est que si à chaque fois qu'on bataille pour sentir une jugulaire qui file sous la peau et sous la laine d'une brebis mal tenue et mal entretenue, accroupi ou à genoux plié en deux tordu contre un ratelier graisseux, on doit entendre à chaque fois LA blague du "alors? elle a pas de sang?" qui veut au fond démontrer par l'absurde que le vétérinaire n'y arrive pas, puisque évidemment qu'elle a du sang parce que sinon, hein, elle serait morte, et bien croyez-le ou pas, ça finit par taper sur les nerfs. Inutile d'essayer d'invoquer un des motifs cités précédemment, ça ne ferait que renforcer l'idée qu'au fond, elle a pas de sang"... Reste à en rire, à respirer profondément, et continuer, one sheep at a time, jusqu'à la cinquantième, pour pouvoir enfin se remettre debout et passer à la phase suivante:

Phase 5: conclure et s'échapper:
Le plus dur est fait. Reste à remplir les papiers et faire signer les papiers, non sans avoir posé les questions d'usage qui permettent de remplir les papiers (et dont les réponses sont dures à obtenir puisqu'il s'agit de donner gratuitement des informations confidentielles du type: combien de béliers adultes sont présents sur l'exploitation, combien de jeunes mâles seront gardés sur l'exploitation cette année). Il faut aussi vérifier s'il y a d'autres choses à faire (prélèvement de lait, prise de sang de typage sur les jeunes mâles, prise de sang sur les béliers adultes...), le faire le cas échéant ce qui suppose une nouvelle perte de temps et le déploiement de nouveaux trésors de diplomatie et de conviction. Il faut aussi essayer à tout prix de ne rien faire d'autre: ne pas accepter de fouiller des vaches peut-être pleines mais peut-être vides, ne pas accepter de regarder cette agnelle qui a une boule de la taille d'un ballon sous la mâchoire depuis hier, ne pas accepter de tirer un veau qui est mort et la vache commence à faire de la fièvre, ne pas accepter de prendre l'apéro, ou alors juste un café, vite fait. Quand tout ça est fait, il faut quand même batailler pour pouvoir se laver les mains et les bottes avant de remonter en voiture (histoire de ne pas devenir le principal vecteur de maladies entre exploitations). Bien dire au revoir et à la prochaine, oui, c'est ça, merci, oui, adio! et filer à la maison suivante, autrement dit, recommencer au tout début du post, à la phase 1.

Tout ça en 30 minutes maximum, avec le sourire et sans s'énerver quand les ficelles pètent, les barrières tombent, les portails s'ouvrent, les brebis s'échappent ou, simplement, n'ont pas de sang! Allez, un petit jeu pour finir:

Un éleveur et sa vache se cachent dans cette image, sauras-tu les retrouver?

1 comment :

  1. Les auteurs de ce blog tiennent à préciser qu'il s'agit d'une caricature dont le seul but est de faire (sou)rire, pas de se moquer ni de blesser qui que ce soit. Le plus souvent, tout est prêt à notre arrivée, nous rencontrons des éleveurs aimables, compétents et pleins de bonne volonté, avec lesquels travailler est un plaisir. Toute ressemblance avec des éleveurs de brebis vivant ou ayant vécu en Iparralde serait donc non seulement fortuite mais surtout une remarquable coïncidence...

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